Transition politique, question kurde : ce qu’il faut savoir avant la conférence de Paris sur la Syrie
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13 février 2025
Assawra
Al-Joulani arrive en position de force avant la la troisième conférence internationale sur la Syrie se tient ce jeudi 13 janvier 2025 à Paris. SPA / AFP
La troisième conférence internationale sur la Syrie se tient ce jeudi à Paris. Emmanuel Macron tente de passer à l’offensive et de faire oublier ses échecs dans la région. Il est même prêt à faire abstraction du long passé djihadiste des nouveaux maîtres de Damas.
Après Aqaba en Jordanie le 14 décembre, puis Riyad en Arabie saoudite le 12 janvier, la troisième conférence internationale sur la Syrie se tient ce jeudi 13 janvier à Paris.
La première réunissait le secrétaire d’État américain d’alors, Antony Blinken, l’envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, Geir Pederson, la haute représentante de l’Union européenne (UE) chargée de la politique étrangère et de sécurité, Kaja Kallas, et les ministres des Affaires étrangères de Turquie, de Jordanie, d’Arabie saoudite, d’Irak, du Liban, d’Égypte, des Émirats arabes unis, de Bahreïn et du Qatar. Elle visait surtout pour ces pays à prendre leurs marques, quelques jours à peine après la chute de Bachar al-Asad. Ils se gardaient bien d’inviter les nouvelles autorités de Damas.
Une déclaration commune avait été adoptée. Elle appelait à la mise en place d’un gouvernement inclusif et représentatif, tout en respectant les droits des minorités. Les États-Unis avaient déjà pris des contacts directs. Blinken soulignait à cette occasion « la détermination à soutenir une transition dirigée par les Syriens, où les Nations unies jouent un rôle crucial, particulièrement en matière d’assistance et de protection des minorités ».
Al -Joulani conforté
Le message en direction de celui qui, en décembre, se faisait encore appeler Abou Mohammed al-Joulani, était clair : nous sommes prêts à vous aider, mais il faut sauver les apparences.
Rebelote un mois après mais, cette fois, les discussions ont porté sur la façon de contribuer à « reconstruire la Syrie en tant qu’État unifié, indépendant et sûr pour tous ses citoyens, où le terrorisme n’a pas sa place, où sa souveraineté ne sera pas violée et où son intégrité territoriale ne sera pas attaquée, d’où que ce soit », selon les États participants. Parmi eux, nouveaux arrivés, l’Allemagne, l’Espagne, la France et la Grande-Bretagne, en sus de ceux de la première heure.
L’assistance est plus fournie, signe que des décisions politiques ont été prises au niveau des chancelleries. La plus importante : puisque Abou Mohammed al-Joulani en treillis s’est transformé en Ahmed al-Charaa en costume-cravate et bien qu’il ait gardé sa barbe, tout le monde veut oublier son passé sulfureux d’islamiste passé par Daech (l’État islamique) et al-Qaida avec le Front al-Nosra.
Peu importe encore qu’en lieu et place d’un processus démocratique associant l’ensemble des composantes de la société syrienne pour préparer l’avenir, Charaa se soit fait nommer président. Peu importe que les conférences nationales annoncées soient ajournées. Peu importe que des purges se multiplient, visant notamment la communauté alaouite, mais pas seulement.
Ces deux premières conférences visaient ainsi à remettre la Syrie, blanchie et absoute, dans le jeu international, même si les communiqués adoptés ne sont que de pure forme. Ainsi, à Riyad, les États présents ont pris soin de préciser qu’ils souhaitaient une Syrie dont l’« intégrité territoriale n’était pas attaquée ».
Deux jours auparavant, le 10 janvier, Israël annonçait vouloir maintenir une « présence » militaire permanente en Syrie. Tel-Aviv, qui occupe déjà le plateau du Golan syrien, a profité de la chute du régime pour avancer territorialement sans qu’aucun gouvernement ne prenne les mesures qui s’imposeraient s’il s’agissait d’un autre pays agresseur. Les islamistes de Damas ne bronchent d’ailleurs pas plus.
La question kurde en suspend
On raconte qu’Emmanuel Macron aurait fait savoir avec peu de diplomatie au ministère des Affaires étrangères qu’il attendait des « initiatives ». Il est vrai qu’entre son fiasco au Liban après l’explosion du port le 4 août 2020, son échec en Irak et la coopération économique – la reconstruction de l’aéroport de Mossoul promise à la France a finalement été attribuée à la Turquie –, puis son idée d’une coalition internationale contre le Hamas à l’instar de celle formée contre Daech, la France ne sort pas vraiment grandie des différentes séquences mondiales.
L’organisation à Paris de la troisième conférence sur la Syrie en fait-elle partie ? En tout cas, la France a mis le turbomoteur, aidée par le Forum économique mondial de Davos en Suisse, première instance à accueillir un des nouveaux dirigeants syriens, en l’occurrence Asaad al-Shaibani, ministre syrien des Affaires étrangères, venu chercher la levée des sanctions imposées à la Syrie. Une nouvelle période s’ouvre dans laquelle Emmanuel Macron s’engouffre. Il va même jusqu’à appeler Ahmed al-Charaa, le 5 février, pour, révèle la présidence syrienne, l’inviter en France. Une première pour le monde occidental. Pour l’heure, ce 13 février, c’est al-Shaibani qui est d’abord accueilli dans la capitale française.
Cette fois-ci, le G7 est convié. L’intention n’a pas besoin d’explication. Tout comme la volonté française d’être au centre des nouveaux développements en Syrie. Ancienne puissance mandataire, elle tente de trouver une place leader. François Hollande avait, en 2012, envoyé des armes au Front al-Nosra de Joulani/Charaa, de quoi créer des liens bien qu’au détriment de l’opposition laïque et progressiste.
« Mais la France n’a pas compris que, pour la Turquie, il s’agit de la revanche de l’Empire ottoman sur le mandat français », note le chercheur Fabrice Balanche, auteur des Leçons de la crise syrienne (Odile Jacob). Il précise également que « la stratégie française vis-à-vis de la Syrie a toujours été de préserver le Liban ». Il s’agit donc pour Paris « d’avoir l’assurance d’al-Charaa qu’il ne cherchera pas à déstabiliser le Liban ».
Emmanuel Macron entend être le parrain d’un ex-disciple de Ben Laden et veut capitaliser en termes économiques cette relation privilégiée, notamment dans le cadre de la reconstruction du pays. Il peut compter pour cela sur ses amis du Qatar, eux aussi bien implantés et bien en cour à Damas. Politiquement, il s’agit, tout à la fois, d’insérer la Syrie dans un nouvel environnement régional, sans lien avec l’Iran.
Le président français va également jouer la carte de la question kurde, utile pour contrer la Turquie et alimenter la discussion sur la diversité, mais en l’absence des Kurdes, qui ne seront pas présents. Comme les progressistes syriens qui se sont toujours battus contre le pouvoir baassiste, mais ont toujours refusé de s’intégrer dans un mouvement dominé par des djihadistes.
Pierre Barbancey
L’Humanité du 13 février 2025