La Double Vie de Saigon
Daniel CAUNE - 8 avril 2016
Le 30 avril 1975, la chute de Saïgon consacre la réunification du Viêt-nam, et le nom de celle qui était jusqu’alors la capitale du pays disparaît des cartes, remplacé par celui de Hô Chi Minh-Ville. Construite sur des marécages par les Français, cette cité emblématique et cosmopolite sert de décor à ce documentaire, qui retrace l’histoire de la colonisation et des guerres successives qui ont marqué le pays. L’ancienne capitale de l’Indochine française devint en 1954 celle de la République du Viêt-nam. Après la guerre avec les Américains, c’est Hanoï qui devint la capitale du pays, même si Saïgon reste la plus grande ville vietnamienne.
Genre : Histoire
Durée : 52 mn
Origine : français
Réalisateur : Alain Taïeb, Philippe Franchini
Date : 2005
L’incroyable double vie de Pham Xuân An, l’espion vietnamien qui a trompé la CIA en plein cœur de Saïgon
https://www.geo.fr/histoire/lincroy…
3 mai 2025 à 7h38
GEO, Céline Lison
Article paru dans le magazine HS GEO Histoire, "Vietnam, des premières dynasties à la chute de Saïgon", d’avril-mai 2025.
Installé à Saïgon dans l’hôtel Continental, il travaillait pour la presse américaine et fréquentait politiciens et diplomates. Et pourtant, Pham Xuân An était l’une des principales "taupes" communistes au Sud-Vietnam.
"Je n’ai pas joué de mauvais tour, j’ai fait ce que je devais pour mon pays. Eux [les Américains et les Français] ont fait pareil. […] Je n’ai jamais cherché à faire de mal à personne." En 2005, Pham Xuân An se confiait devant la caméra du Français Alain Taïeb, pour le documentaire La Double Vie de Saïgon. À 78 ans, affaibli (une maladie pulmonaire l’emporta à Hô Chi Minh-Ville l’année suivante), cet ancien "parfait espion", comme il a été surnommé, n’avait rien oublié des choix ayant ponctué sa vie. Une vie… multiple. Entre 1959 et 1975, Pham Xuân An avait réussi à devenir le confident et l’ami des notables de Saïgon, des généraux et des diplomates. Journaliste pour des médias américains, il était introduit aussi bien dans les cercles de la CIA que dans ceux des services de renseignements du Sud-Vietnam. Mais sans que nul ne le soupçonne, il était surtout un espion du Vietcong…
Une parenthèse de deux ans aux États-Unis
Né en 1927, fils d’un haut fonctionnaire de l’Indochine française, le jeune Xuân An avait vécu tout aussi mal le joug exercé par les colons que l’occupation japonaise durant la Seconde Guerre mondiale. Il refusait que son pays soit dirigé par des étrangers. En secret, il participa à un camp d’entraînement des nationalistes vietminhs, puis, en 1953, adhéra au Parti communiste, tout en ignorant tout de cette doctrine. Parlant français, anglais, et, à la demande du Vietminh, ayant déjà écrit des rapports sur des personnalités étrangères, il fut vite repéré. Lê Duc Tho, cofondateur du Parti et proche d’Hô Chi Minh, l’avertit : la France partie, les États-Unis ne laisseraient pas les Vietnamiens décider de leur avenir. La guerre serait longue. Il devait se préparer à devenir un agent d’analyse stratégique.
Quatre ans plus tard, à 30 ans, Pham Xuân An débarqua en Californie. Ordre du Parti : se former au journalisme, sa couverture, tout en intégrant totalement la culture et le mode de pensée américain. "J’admirais la liberté de ton et l’indépendance de pensée américaine, confiera-t-il plus tard à Larry Berman, auteur de Perfect Spy (éd. Harper Collins, 2008, non traduit). En Amérique, j’ai appris une nouvelle façon de raisonner et je n’ai jamais pu l’oublier, même quand ils [les communistes] ont voulu l’effacer après la guerre." La parenthèse enchantée dura deux ans. En 1959, Pham Xuân An rentra dans un Saïgon en ébullition. La guérilla avait commencé, les arrestations parmi les communistes aussi. Le journaliste contacta l’une de ses connaissances, le Dr Tuyen, patron des services secrets de la jeune république du Vietnam. Celui-ci l’introduisit sans hésiter à Vietnam Press, l’agence de presse du régime dirigé par Ngô Dinh Diêm. Tuyen ne s’arrêta pas là : un journaliste formé aux États-Unis était une recrue de choix pour le renseignement du Sud. Xuân An ne put refuser : il devint agent double.
Les microfilms étaient parfois dissimulés dans de faux nems
X6 – le nom que lui donnèrent les communistes – renoua avec ses anciens contacts américains et sud-vietnamiens. Ses manières affables et ses analyses de la situation étaient appréciées. Il fut embauché par de grands médias américains, l’agence Reuters puis Time Magazine à qui il offrit plusieurs scoops. En 1961, alors que les États-Unis intervenaient pour la première fois militairement dans le sud du pays, X6 récupéra un document présentant leur stratégie. Le premier d’une longue série qu’il disséqua secrètement pour le Front national de libération du Sud-Vietnam (FNL). Le général Giap put se vanter : "Nous sommes maintenant dans la salle de commandement des États-Unis."
À Saïgon, la double vie de Pham Xuân An était bien rodée. Centre névralgique de la ville, le majestueux hôtel Continental accueillait les bureaux de la presse étrangère et fourmillait de personnalités. Juste en face se tenait le Givral, un café-glacier où se pressaient députés et sénateurs, officiers et espions comme lui. L’agent double disparaissait parfois des jours entiers, prétextant une enquête de terrain ou l’achat, sur un marché lointain, d’un oiseau rare – l’une de ses passions. En réalité, il profitait de cette marotte pour transmettre ses analyses à une coursière. Ses rapports avaient été écrits de nuit, à l’encre sympathique. Les documents d’origine, copiés sur microfilms, étaient parfois dissimulés dans de faux nems ! En janvier 1963, les Sud-Vietnamiens, soutenus par les Américains, essuyèrent leur premier échec lors de la bataille de Ap Bac. Un mauvais commandement des troupes ? Pas seulement. Les Vietcongs avaient adapté leur stratégie à celle de leurs adversaires, et les renseignements de Pham Xuân An n’y étaient apparemment pas étrangers. La défaite eut de lourdes conséquences : le public américain prit conscience des réalités de la guerre et Ngô Dinh Diêm perdit un peu plus la confiance de ses alliés. Après la disparition de Diêm l’année suivante, le Nord pensait que les Américains allaient quitter le pays. Les renseignements de X6 disaient, à raison, l’inverse. Entre 1965 et 1968, quelque 500000 soldats furent envoyés au Vietnam.
"Héros de l’Armée populaire"
Fin 1967, on demanda à Pham Xuân An d’effectuer des repérages dans plusieurs villes du Sud. Le FNL préparait l’offensive du Têt. La manœuvre échoua mais causa de lourdes pertes côté américain, encourageant les manifestations pacifistes aux États-Unis. L’agent X6 le note dans ses rapports secrets. Le journaliste Pham, lui, partit sur les lieux des attaques comme s’il les découvrait. Sans chercher à influencer ses collègues ni à transmettre de fausses informations. Au contraire. Sa neutralité et son sérieux étaient la clé de sa couverture. D’ailleurs, il aimait sincèrement son métier. Ce qui ne l’empêcha pas d’être médaillé à trois reprises pour son action de renseignement…
Les accords de Paris signés en 1973, les Américains avaient retiré leurs troupes. Mais fin 1974, le général Giáp était en proie au doute : s’il envahissait le Sud, que feraient les États-Unis ? X6 dénicha un rapport secret sud-vietnamien qui affirmait que les Américains ne reviendraient plus. Sept semaines plus tard, le 30 avril 1975, Saïgon fut prise. En 1976, An fut officiellement proclamé "héros de l’Armée populaire". Le lourd secret de sa vie fut brusquement révélé. Ses amis n’en revenaient pas, les stratèges américains non plus. Combien d’informations stratégiques avaient été divulguées par son entremise ? Quelle importance avait-il eu durant le conflit ? Malgré plusieurs biographies écrites à son sujet, difficile de connaître le fin mot de l’histoire. Sous surveillance communiste, le célèbre espion n’a pas tout raconté. "Personne n’a accès aux archives vietnamiennes, rappelle l’historien et chercheur Pierre Journoud. Il y a probablement eu d’autres espions. Et Pham Xuân An était peut-être l’arbre qui cachait la forêt…"