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Publié le 9 octobre 2025 à 16h00
Modifié le 10 octobre 2025 à 11h45
Pierre Isnard-Dupuy
Col du Prorel, à Serre-Chevalier, en janvier 2023. - / MOIRENC Camille / Hemis via AFP
La plus grosse station de ski des Alpes du Sud veut étendre son réseau de neige de culture jusqu’à 2 500 mètres d’altitude. Le projet vient de recevoir un avis défavorable du commissaire enquêteur.
Continuer à faire du ski sur de la neige artificielle jusqu’à risquer de manquer d’eau ? Lors d’une enquête publique sur le projet d’extension du réseau de production de neige artificielle de Serre-Chevalier, cet été, la question a agité la plus grande station de sports d’hiver des Alpes du Sud. Dotée de 250 km de pistes dans le Briançonnais, elle accueillera des épreuves des Jeux olympiques d’hiver en 2030.
Fait rare dans ce genre de dossier, le commissaire enquêteur a rendu unavis défavorable, public depuis début septembre. « Ce projet présente un risque non négligeable […]. La baisse de la ressource pourrait avoir des effets négatifs sur les milieux naturels et l’alimentation en eau potable », écrit le commissaire enquêteur, Bernard Leterrier. Bien que son avis ne soit que consultatif, sa position illustre les tensions croissantes autour de l’impasse du tout-ski dans les Alpes.
La neige se raréfie, même à haute altitude
Les projections scientifiques, y compris l’étude Climsnow commandée par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, prévoient que sous l’effet du changement climatique, la neige naturelle se raréfie, même en haute altitude, à l’horizon 2050. Alors, la station cherche à « garantir la disponibilité et la qualité du domaine en altitude », de 1 980 à 2 500 mètres, pour sécuriser la liaison entre les secteurs des communes de La Salle-les-Alpes et du Monêtier-les-Bains.
Pour enneiger 27 hectares supplémentaires (qui porteraient le total à 185 hectares), 110 enneigeurs de type perches et 6 canons à neige à ventilateurs seraient alimentés par 9 km de canalisations. Aucune date de démarrage des travaux n’a pour l’instant été annoncée.
Le plan des pistes sur lequel est représentée la zone qui sera aménagée. Extrait du dossier d’enquête publique
Un projet qui engendrerait « une consommation d’eau de près de 100 000 m3 par an, soit une augmentation de près de 15 à 20 % des volumes déjà utilisés », analyse la Société alpine de protection de la nature, une association membre de France Nature Environnement (SAPN-FNE 05). Portant le total à 700 000 m3 annuels au maximum.
« Il s’agit de volumes considérables au regard de la disponibilité de la ressource », considère l’association dans sa contribution à l’enquête publique, qui les compare à la consommation d’eau potable de la vallée, qu’elle estime à 800 000 m3.
Une « fuite en avant »
Or, la capacité des retenues collinaires de la station est de 242 240 m3, comme cela est indiqué dans l’enquête publique. « Il faudra donc les recharger en hiver en pleine période d’étiage [lorsque les cours d’eau sont au plus bas], alerte Bernard Patin, administrateur de l’association. Une période qui correspond au maximum de la fréquentation touristique et donc à la pointe de consommation en eau potable. »
« Ce projet paraît constituer une fuite en avant pour faire perdurer un modèle que le changement climatique bouscule […]. Imaginer une nouvelle façon de vivre en montagne paraît indispensable », a écrit l’association Mountain Wilderness dans sa contribution à l’enquête publique. Elle appelle à un investissement « d’une partie des bénéfices » de la Compagnie des Alpes, la société mère de Serre-Chevalier, pour la transition vers d’autres activités touristiques.
« Il s’agit de volumes d’eau considérables
Contacté, le directeur général de la station n’a pas souhaité s’exprimer, renvoyant aux éléments livrés à l’enquête. Sollicités, ni le maire du Monêtier, ni celui de La Salle, n’ont répondu à Reporterre. Cet élu est par ailleurs président du Syndicat intercommunal pour la gestion et l’exploitation des domaines (Siged), regroupant les deux communes et porteurs du projet avec la station, qui est sous délégation de service public.
La station a en tout cas répondu au commissaire enquêteur que la production de neige s’appuie aussi sur des captages « situés en aval ou hors périmètre des prises d’eau potable ». Elle assure que les prélèvements pour les retenues collinaires sont réalisés « en dehors des périodes d’étiage » et qu’en cas « de tension sur la ressource en eau », elle « a prévu un plan de réduction de production ». Enfin, la station promet d’arrêter sa production de neige à basse altitude, « qui ne sera plus viable avec le changement climatique », ce qui assurerait l’équilibre de l’usage de la ressource en eau.
Manque de « moyens de contrôle »
Du côté des services de l’État, on affirme que « le projet ne va pas conduire à une augmentation des prélèvements, mais à une répartition différente des volumes d’eau affectés à l’enneigement du domaine skiable », selon la réponse apportée par la préfecture à Reporterre. Ce dossier n’est d’ailleurs pas en attente d’un nouvel arrêté préfectoral, puisqu’il n’y a pas de construction de nouvelle retenue collinaire nécessitant une nouvelle autorisation de prélèvements.
Le commissaire enquêteur n’est pas aussi confiant en ce qui concerne l’avenir de la ressource. « La manière dont ces quantités d’eau seront contrôlées n’est pas précisée. Rien dans le dossier n’indique la procédure mise en place et les moyens de contrôle », expose-t-il. Quant à l’arrêt de l’enneigement artificiel à basse altitude, « cela ne fait l’objet d’aucun engagement précis », pose-t-il. Ni calendrier ni lieux pour le démontage des équipements pour la neige artificielle à basse altitude n’ont été annoncés par Serre-Chevalier.

