20 septembre 2006

BELGIQUE

Plaidoirie de Bahar Kimyongür sur fond de complot d'État

    Bahar Kimyongür a été condamné en première instance à 4 ans fermes pour avoir traduit un tract. Il passe en ce moment-même en appel au tribunal. Voici sa plaidoirie sur fond de complot d'État. En effet, ne pouvant livrer Bahar Kimyongür, citoyen belge, à la Turquie qui veut sa peau, la Belgique s'était débrouillée pour le faire arrêter aux Pays-bas d'où il pouvait être extradé...

http://mai68.org/ag/1057.htm
http://cronstadt.org/ag/1057.htm
http://kalachnikov.org/ag/1057.htm
http://www.chez.com/vlr/ag/1057.htm

    Remarque de do : pour bien savoir de quoi il s'agit, je vous invite à commencer par lire ceci :

    http://mai68.org/ag/933.htm

    Et :

    http://mai68.org/ag/995.htm

    Extrait du quotidien belge Le Soir, du 19 septembre 2006 :

    « Le gouvernement Verhofstadt aurait sciemment organisé la « livraison » le 28 avril dernier du ressortissant belge Bahar Kimyongür aux Pays- Bas en vue de son extradition vers la Turquie.

    « Selon la version constante des autorités belges, mise en doute par des révélations du Soir en mai et juin derniers, le porte-parole (ce qu'il nie) de l'organisation turque d'extrême gauche DHKP-C, actuellement jugé devant la cour d'appel de Gand, aurait été arrêté « fortuitement » aux Pays-Bas dans la nuit du 27 au 28 avril alors qu'il se rendait à un concert à 's Hertogenbosch.

    « Cette version, régulièrement avancée par la ministre de la Justice Laurette Onkelinx (PS), tant à la Chambre qu'au Sénat en réponse à des questions des parlementaires Ecolo Marie Nagy (députée) et Josy Dubié (sénateur), est démentie par un procès-verbal d'une réunion classifiée « confidentielle », tenue au centre de crise du ministère de l'Intérieur deux jours avant l'arrestation de Kimyongür.

    « Cette réunion, dont nous avons pu consulter le procès-verbal, s'est ouverte à 17 heures. Elle rassemblait 25 personnes, sous la présidence de Pascale Vandernacht, chef de cabinet adjoint de la ministre de la Justice, en charge des dossiers de terrorisme. Y assistaient un conseiller de Guy Verhofstadt (Premier ministre, VLD), Eugène Dimmock ; le directeur de la sécurité publique (Intérieur), Alain Lefebvre ; la conseillère juridique de Laurette Onkelinx, Pascale Petry ; l'administrateur général ff de la Sûreté de l'État, André Demoulin ; le procureur fédéral Daniel Bernard et ses adjoints, Johan Delmulle et Leen Nuyts (qui requièrent contre le DHKP-C) ; des représentants de la police locale et d'autres directeurs de la Sûreté ou de la police fédérale antiterroriste dont nous tairons les noms. »

    Plaidoirie de Bahar Kimyongür :

Gand, le 19 septembre 2006

À l'attention de la Présidence de la Cour d'appel de Gand

Bahar Kimyongür

        Messieurs les juges,

    Ce serait un euphémisme que de dire que ce procès auquel nous assistons depuis quelques jours dans votre palais de justice est historique.

    Et pour cause, ce sera l'une des premières fois que l'on appliquera en Belgique une loi qui apparaît comme étant l'une des plus liberticides que notre code pénal n'ait jamais connu.

    Cette loi permet en effet au procureur fédéral de me poursuivre alors que je n'ai jamais commis le moindre crime ou délit, ni n'ai jamais eu l'intention d'en commettre. En fait, ce qui est fondamentalement attaqué dans cette affaire, c'est ma qualité de citoyen.

    Je suis un citoyen belge qui entend jouir de ses droits, à savoir la liberté d'avoir des opinions et de les exprimer et ce, même si ces idées ne sont pas partagées par les autorités turques comme c'est le cas quand je dénonce les tortures subies par les prisonniers politiques et ce, même si je les exprime via le bureau d'information du DHKC.

    La responsabilité qui pèse sur vos épaules est donc indiscutablement lourde.

    En vous demandant de me condamner, le Parquet vous demande aussi de condamner la démocratie.

    Aussi, j'espère, au nom des principes d'impartialité qui caractérise votre Cour, que votre verdict respectera les libertés individuelles et collectives dont se targue notre pays.

    D'après la description du DHKP-C faite par le procureur fédéral Johan Delmulle et l'avocat de la partie civile Kris Vincke, ce mouvement politique est présenté comme étant dangereux, sectaire, extrémiste, fanatique, criminel, terroriste, etc.

    A l'inverse, ils présentent le régime turc comme une démocratie et un Etat de droit.

    Je souhaiterais commencer par épater messieurs Delmulle et Vincke : Oui, messieurs, l'Etat turc est une démocratie ! Elle est même LA démocratie de vos rêves. Une démocratie flamboyante dont vous jetez les bases en Belgique de manière chevronnée.

    Une démocratie qui pratique la torture.

    Une démocratie qui maltraite les prisonniers politiques par l'isolement carcéral, par des mesures coercitives et des châtiments disciplinaires, qui kidnappe et exécute ses opposants, qui tire sur des enfants, notamment kurdes, qui tabasse les ouvriers, les employés, les étudiants, les retraités, les chômeurs et les militants des droits humains, qui protège les assassins militaires et policiers, qui décore les bourreaux, comme par exemple le chef des prisons Ali Suat Ertosun, pour leurs loyaux services, qui impose la censure, qui saisit les organes de presse et emprisonne les journalistes, qui interdit des concerts de musique et des manifestations, qui suspend des émissions radio, qui uniformise la pensée et criminalise les idées alternatives, qui nie l'indéniable génocide arménien, qui arme des organisations paramilitaires commettant des attentats terroristes, qui décide « au nom de la nation » et ce, au mépris total de l'avis de la nation, qui affame la population en bradant les ressources du pays aux multinationales, qui organise le trafic de drogue avec des convois entiers escortés par la police, qui introduit la drogue là où règne la pauvreté, qui organise des attentats à l'étranger, notamment en Belgique [1]

    Une démocratie oui, mais une « panzer démocratie » ! Monsieur le Procureur.

    Et ignorer cette réalité scandaleuse, c'est plus que de la malhonnêteté intellectuelle, plus que de l'apologie du terrorisme d'Etat, c'est du négationnisme pur et dur.

    Vous révisez l'histoire odieusement Monsieur le Procureur. Et votre parti pris n'illustre que trop bien le caractère politique du procès que vous nous intentez.

    Oui, une PANZER DEMOCRATIE ! Messieurs les juges.

    Vous devez certainement le savoir, l'armée turque est une des armées les plus spécialisées dans la guerre contre son propre peuple :

    Ainsi, le 12 mars 1971, l'armée a pris de pouvoir et entamé une campagne d'extermination de toutes les forces de gauche, des plus radicales aux plus modérées. Les salles de torture tournèrent à plein rendement…

    Le 12 septembre 1980, une junte dirigée par Kenan Evren a parachevé ce processus d'extermination.

    Aujourd'hui, l'état d'exception est encore imposé dans plusieurs provinces où la rébellion nationaliste kurde est active.

    Le couvre-feu est encore et toujours imposé dans les zones urbaines sous influence du DHKP-C comme à Armutlu, Gazi, Okmeydani, Nurtepe et autres quartiers stambouliotes.

    Les panzers sèment littéralement la terreur durant les manifestations.

    En août dernier, à l'appel de sympathisants du DHKP-C, des milliers de commerçants ont participé à une action de fermeture de leur échoppe qui dura plusieurs heures. Cette action était destinée à condamner les bombardements israéliens sur le Liban et la Palestine.

    Le 28 août dernier, les forces de police menèrent plusieurs rafles à Istanbul et Ankara pour arrêter les instigateurs de cette action pourtant démocratique. Les commerçants ont été eux aussi terrorisés et les « agitateurs » jetés en prison de type F !

    En voyant les déploiements policiers et leur brutalité, certains ont cru à un retour au coup d'état de 1980 et à l'état d'urgence.

    Autre exemple, aujourd'hui, si vous déclarez que « l'objection de conscience » est un droit de l'homme, vous vous retrouvez sur le banc des accusés pour « insulte à l'armée ».

    C'est ce qui est arrivé à cette malheureuse journaliste Perihan Magden…

    Vous avez dit « Etat de droit » Monsieur le Procureur ?

    Suis-je un dirigeant du DHKP-C ?

    Dans son réquisitoire, Monsieur le Procureur m'accuse d'être un leader du DHKP-C. Il explique en même temps que cette organisation croit posséder la vérité absolue et ne respecte aucune autre idée que la sienne.

    Or, j'entretiens un contact régulier, avec diverses personnalités politiques, académiques, artistiques et scientifiques de Belgique et d'ailleurs, qui prônent des idées parfois diamétralement opposées aux miennes et collabore avec ces personnalités dans le respect total de leurs opinions.

    Depuis 6 ans, je me consacre tout particulièrement à défendre le droit des prisonniers de Turquie à vivre dignement et décemment.

    J'ai participé à l'envoi de missions d'observation en Turquie. Dans ce cadre, j'ai arrangé de nombreux rendez-vous entre des institutions turques et des observateurs européens.

    J'ai traduit et rédigé des dizaines de milliers de pages de rapports sur les violations des droits de l'homme, d'articles de la presse gouvernementale, de témoignages de détenus et de leurs familles, de pétitions, de communiqués de presse d'ONG ou de lettres personnalisées notamment à des parlementaires belges et européens.

    En ce moment même, je contribue activement au dialogue entre les détenus et le gouvernement pour la cessation du conflit dans les prisons et pour l'amélioration de leurs conditions de détention.

    Alors de deux choses l'une : soit le DHKP-C n'est pas une organisation fanatique et sectaire comme le prétend le Procureur Delmulle. Soit, je ne suis pas membre de l'organisation.

    Messieurs les Juges, l'Etat turc assène ses citoyens depuis le berceau jusqu'au tombeau, à l'école, au travail, à l'armée, de la devise que « chaque turc naît soldat », que « la plus grande joie est de se dire Turc » ou encore que « le Turc n'a d'autre ami que le Turc ».

    Pour le DHKP-C, à l'inverse, chaque communauté du pays a le droit de clamer son identité nationale, ethnique, philosophique ou religieuse.

    Musa Asoglu est Abkhaze.

    Dursun Karatas et Fehriye Erdal sont Kurdes.

    Sükriye Akar est Laze.

    Zerrin Sari et Kaya Saz sont Turcs.

    Et moi-même, je suis Arabe. Et dans les milieux proches du DHKP-C, j'ai toujours pu le revendiquer haut et fort.

    Tandis que l'Etat turc, lui, crachait sur mes origines, mes amis du DHKP-C, les ont respectées et ont défendu mon droit de les revendiquer.

    Je n'ai vu l'intolérance, le fanatisme et la cruauté que le procureur fédéral impute au DHKP-C que dans les agissements de l'Etat turc.

    Regardez les premières pages du plus grand quotidien turc « Hürriyet » et vous verrez qu'il y est indiqué en en-tête que « la Turquie est aux Turcs ».

    Lors de cérémonies militaires organisées le 30 août dernier, quatre étudiants ont été violemment molestés par une foule haineuse [Note de do : il va de soit que cette "foule" était constituée d'agents de l'État turc, car en Turquie seul le pouvoir soutient Israël !]. Le crime de ses quatre étudiants qui entendaient protester contre l'envoi de troupes turques dans le sud Liban était d'avoir déployé un calicot arborant une devise qui n'a pourtant rien d'anti-militariste : « Nous ne serons pas des soldats d'Israël » disait la pancarte.

    Savez-vous ce que Celalettin Cerrah le chef de la police d'Istanbul a déclaré suite à ce lynchage ? « Je félicite la population. Elle a bien réagi ».

    C'est pas un appel à la haine et au meurtre ça ?

    Vous avez dit « Etat de droit » et « démocratie » Monsieur le Procureur ?

    Sympathie et empathie

    Tout au long des années 90, les télévisions privées turques émettant par satellite nous montraient les images de militants, pour la plupart du DHKP-C, capturés et parqués dans une salle de la section anti-terroriste de la police après qu'ils aient disparu pendant plusieurs jours. Ces militants physiquement détruits par plusieurs jours de tortures, « noirs de barbes, hirsutes, menaçants » comme disait Louis Aragon dans son célèbre poème  l'Affiche rouge », se dressaient, le poing levé, fiers, sereins et stoïques.

    En montrant ces images, l'Etat turc cherchait un effet de peur sur la population.

    Chez moi comme chez de centaines de milliers de citoyens turcs, ces images suscitaient le respect.

    Pour être plus précis, messieurs les juges : j'éprouve de l'admiration pour le courage, l'abnégation, la sagesse, l'humilité et l'altruisme des militants du DHKP-C.

    Cela peut vous paraître invraisemblable mais c'est grâce au DHKP-C que j'ai commencé à aimer la Turquie, ce pays que j'ai longtemps détesté en raison du racisme, du chauvinisme et de la répression bestiale, qui y règnent. Oui, c'est grâce au DHKP-C que j'ai commencé à véritablement aimer la Turquie, au-delà d'une simple destination de vacances. C'est le DHKP-C qui m'a permis de refaire confiance en l'Homme, en ses espoirs et en ses capacités créatrices.

    Sachez, Messieurs les juges que je n'ai jamais été membre du DHKP-C et que, par ailleurs, je ne m'étais jamais posé la question jusqu'au jour où l'on me traîne devant vous.

    Pour moi, la question de mes sensibilités politiques relève de la liberté d'opinion et d'expression. Cette question est complètement accessoire.

    J'étais d'ailleurs marxiste avant d'avoir rencontré le DHKC. J'ai découvert que son projet de société coïncidait avec mon idéal social. C'est ainsi que j'ai sympathisé avec ce mouvement populaire à travers mon engagement au sein du bureau d'information de Bruxelles en tant que traducteur et coordinateur de campagnes de soutien aux prisonniers politiques de Turquie.

    Messieurs les juges, je tiens à souligner qu'il faille ne pas confondre un bureau d'information avec l'ensemble du mouvement DHKC et de ses formes d'action. Dois-je rappeler que même Madame la ministre Onkelinx a reconnu en 2004 que ce bureau agissait selon des droits qui lui étaient garantis par notre Constitution ?

    Je demande à la Cour, de faire la distinction entre mon sentiment d'appartenance que je clame sans réserve et une prétendue appartenance politique proclamée par des organes de presse sur lequel je n'ai jamais eu le moindre contrôle. L'empathie et l'appartenance officielle sont deux choses bien distinctes de même que le DHKC et le bureau d'information du DHKC. Je n'ai jamais été coopté, nommé, adoubé, hissé, muté, ni gradé par les dirigeants du DHKP. Je ne connais d'ailleurs aucun dirigeant de ce mouvement et c'est bien la dernière de mes préoccupations.

    La seule chose qui compte pour moi est de vivre en harmonie avec mes idéaux et de soutenir des prisonniers politiques dont j'estime le combat indispensable pour le progrès social en Turquie. Et rien ne m'en empêchera, ni la privation de liberté, ni la mort civique ni même la mort physique.

    D'autre part, je m'indigne de la légèreté avec laquelle les autorités belges et turques se sont comportées dans le dossier d'extradition de l'assassin fasciste du journaliste turc Abdi Ipekçi, aussi ancien que ce crime puisse être. Le « Loup Gris » impliqué dans cet assassinat datant de 1979 se nomme Yalçin Özbey. Le journaliste qu'il assassina en Turquie n'était pourtant pas révolutionnaire et s'opposait ouvertement à la lutte armée. Mais qu'importe, pour l'extrême droite turque, ceux qui ne pensent pas comme eux sont des ennemis à exterminer… Grâce à ses liens avec les services secrets turcs de la MIT, Yalçin Özbey a pu s'en sortir à bon compte en Turquie et a été très vite relaxé en Belgique. Les autorités judiciaires turques auraient en effet commis une erreur formelle dans leur demande d'extradition de ce malfrat…

    Je constate que le Parquet qui prétend que ce procès n'est pas politique, demande à la justice de ce faire plus répressive lorsque ce sont des communistes qui sont incriminés. Pour ma part, je fais simplement confiance en la justice de mon pays pour ne pas répondre à ces injonctions qui visent à limiter la liberté d'expression.

    Permettez-moi de répondre une à une, aux accusations proférées par le procureur Delmulle et tout d'abord, à l'accusation d'avoir « grandi dans l'organisation ».

    Dans son scénario loufoque, il y a :

1. L'accusation de « dirigeant d'un camp de jeunes du DHKP-C ».

    D'abord, les activités estivales et hivernales auxquelles j'ai participé ne sont pas des camps de formation militaire mais des camps de vacances tout à fait légaux, familiaux et ouverts, destinés à faire vivre « l'amitié, la solidarité et la culture populaire anatolienne ».

    Les familles étaient hautement satisfaites de ce genre de rencontres. Elles se réjouissaient en effet, de voir leur fille ou leur fils être plus serviables à la maison, plus respectueux, plus humbles.

    D'après une vidéo saisie à Amsterdam montrant un camp de vacances organisé à Spa, on me verrait aux côtés de Nuri Eryüksel, le « responsable du DHKP-C pour l'Europe ».

    Permettez-moi de dire, messieurs les juges, que, quand bien même cette information serait vraie, le fait de côtoyer Nuri Eryüksel ne constitue aucunement un délit. Et quand bien même cela aurait été le cas, c'est un honneur pour moi d'avoir faire connaissance avec un homme d'une intelligence, d'une sagesse et d'un humour exceptionnels, malgré les souffrances qu'il doit endurer en raison de son handicap physique et de son long passé carcéral en Turquie. Cet homme qui est non-voyant et que le procureur dépeint comme un démon est en effet un homme de culture et de raffinement, qualités qui, manifestement, manquent beaucoup chez ceux qui le stigmatisent.

    Ce dernier affirme que j'aurais organisé le camp de Spa et ce, alors que je déclare dans la même vidéo que c'était la première fois que j'y participais et que j'avais raté les premiers jours du camp.

    Messieurs les Juges, permettez-moi de rappeler qu'en tant qu'arabophone n'ayant jamais fait d'études en langue turque, en 1997, année où le fameux camp fut organisé, je ne parlais qu'un Turc approximatif et donc, n'aurait aucunement pu assumer un rôle dirigeant dans ce camp.

    A l'époque, ce qui m'intéressait, c'était la chanson engagée et si vous visionnez les images, vous verrez que je chante dans la chorale du camp. Vous ne pouvez pas ne pas le reconnaître Messieurs les Juges : la thèse du « dirigeant du camp » est pour le moins tirée par les cheveux.

    2. L'interprétation de la phrase : « Les polices belge et turque collaborent contre le DHKP-C. Nous devons faire une action ».

    Tout d'abord, cette collaboration existait bel et bien ! A ce propos, je tiens à préciser que cela fait dix ans déjà que j'organise des manifestations démocratiques et légales dans le cadre de mon engagement pour la démocratisation de la Turquie.

    En tant que citoyen belge, je pense que ma Constitution m'autorise à mener des actions dénonçant ce genre de collaborations déplorables.

    Le procureur me dénonce par un procédé malhonnête et provocateur tout en sachant que « l'action » dont j'aurais parlé n'avait aucune connotation violente ou illégale.

    3. La découverte de mes papiers à Knokke

    Permettez-moi d'expliquer les circonstances de cette découverte.

    Un jour, quelqu'un est venu me retrouver et m'a confié qu'il me fallait prêter mon identité pour sauver une personne en danger.

    Bien entendu, j'ai accepté sans la moindre hésitation. J'ai effectivement remis un croquis de ma signature avec les indications permettant de la falsifier.

    Ma motivation était de participer à une cause noble, celle de sauver la vie d'un être humain.

    Il y eut un temps en Belgique où il était illégal d'héberger des Juifs chez soi. Et pourtant, nombreuses sont les familles dont l'éthique et la conscience ont outrepassé les lois de l'époque, aussi dangereuses furent-elles.

    Si j'ai pu sauver une vie humaine, je ne regrette absolument rien…

    Petite précision : aucun des documents originaux évoqués par le Procureur fédéral n'a été retrouvé à Knokke. Je n'ai remis à la personne susmentionnée que les photocopies de mes pièces d'identité et de ma carte bancaire.

    J'en tiens pour preuve le passeport que mon conseil Carl Alexander a exhibé devant la Cour la semaine dernière.

    Encore une fois, il apparaît que le Procureur joue sur la manipulation, la contrevérité et la surenchère pour obtenir mon châtiment lourd, objectif qui semble devenir pour lui une véritable cause.

    4. L'émission « Au nom de la loi » de janvier 2001

    Sur les images de cette édition de l'émission « Au nom de la loi » consacrée à « l'affaire Erdal », j'ai effectivement parlé de l'attentat qui a visé le Sabanci Center ainsi que le jet de cocktails molotov sur des intérêts commerciaux turcs à Bruxelles. J'ai en effet justifié ces actes mais il serait abusif de déduire de cela que j'aurais joué un rôle dans son organisation.

    De plus, mon état physique et émotionnel était frappé par une terrible nouvelle.

    Lorsque je fus interrogé par le journaliste de la RTBF dénommé Michel Hucorne, c'était le 19 décembre 2000, précisément le fameux jour du massacre des prisonniers par l'armée turque. C'était un jour d'apocalypse. Je venais de sortir de 46 jours de grève de la faim, de deux heures de sommeil et venais d'apprendre le décès de plusieurs détenus dont certains, que je connaissais personnellement.

    J'avais cru en une solution pacifique à la tragédie des prisons mais comme des millions de gens en Turquie, je m'étais trompé : le gouvernement préféra en effet gazer et achever au lance-flamme des prisonniers affaiblis par leur grève de la faim plutôt que d'entendre leurs souffrances et leurs griefs.

    Une victime directe de cette tragédie aurait, par ailleurs, pu témoigner devant cette Cour si ses autorités n'avaient pas rejeté son témoignage.

    Mes affirmations infondées et sans doute maladroites, diffusées dans l'émission précitée, sont manifestement à mettre sur le compte de mon affliction par rapport à ce qui venait de se produire sous nos yeux dans les prisons turques. Il a ainsi été très facile pour le journaliste de la RTBF de me piéger par ses questions inquisitrices.

    Suite à cette interview, j'ai écrit plusieurs fois à Monsieur Michel Hucorne le conviant à retirer cette interview controversée.

    Le journaliste m'a répondu par courrier et par téléphone par la négative, arguant que s'il retirait mon interview, tout son scénario s'écroulerait.

    Il lui fallait du sensationnel. Tout comme à vous Monsieur le Procureur : sans cette interview, votre scénario s'écroule.

    Soit dit en passant, comme l'a rappelé mon avocat, cette interview ne peut en aucun cas être retenue contre moi dans ce procès, vu son caractère obsolète.

    5. La conférence de presse du 28 juin 2004

    D'emblée, je tiens à souligner que durant cette conférence de presse organisée par une coalition du nom de « Resistanbul 2004 » et ce, en marge du sommet de l'OTAN qui se déroulait à Istanbul, il n'a jamais été question de parler de l'explosion accidentelle déclenchée par la combattante dénommée Semiran Polat.

    La conférence portait strictement sur la militarisation abusive de la ville d'Istanbul en raison de la venue de Georges W. Bush et d'autres chefs d'état.

    Certains provocateurs de la presse turque ont beau essayé de piéger Musa Asoglu en tirant le débat sur ce sujet, ce dernier a aimablement éludé la question pour recentrer le débat sur le véritable sujet de la conférence de presse. Si Monsieur Delmulle souhaite avoir une copie de la conférence de presse, il n'a qu'à contacter l'agence de presse turque Ihlas Haber Ajansi (IHA). Les images qui ont démenti la version du procureur fédéral proviennent précisément de cette agence de presse.

    Par ailleurs, une correspondante de l'agence italienne ADN Kronos a également assisté à cette conférence de presse. Si une telle revendication avait été proférée, croyez-vous vraiment qu'une agence de presse internationale aurait ignoré cette information ?

    Il est plus que navrant que nous nous retrouvions aujourd'hui à polémiquer sur de tels infantilismes. Pour dissiper les soupçons, voici un extrait du seul communiqué lu et distribué au cours de la conférence de presse que j'ai organisé au New Hotel Charlemagne :

    « Depuis des mois déjà, la Turquie est sous occupation. C'est devenu un pays où se pavanent allègrement les agents de la sûreté de dizaines de pays, CIA et Cie. L'endroit où se tient le sommet a été baptisé la "vallée de l'OTAN". Dans cette zone de sécurité qui est la propriété de l'OTAN, aucune loi n'est d'application. Dans une métropole de 15 millions d'habitants, pas moins de 15 000 policiers, 500 tireurs d'élite et des troupes militaires déployés par terre, par mer et dans les airs.

    « Plusieurs associations ont été perquisitionnées et mises sous scellés sans l'avis d'un procureur, avec le prétexte de "préparatifs pour le sommet de l'OTAN". Des centaines de personnes ont été raflées chez eux ou au cours des démonstrations.

    « Dans cette "vallée", près de 300.000 personnes et 50.000 véhicules ont été fichés. Dans la galerie commerciale historique de Kapali Çarsi, 15.000 commerçants et ouvriers ont été interrogés et fichés. Les personnes qui n'ont pas pu obtenir un certificat de "sécurité" ont vu leur magasin fermé obligatoirement. Ils ne pourront regagner leur boutique que sur présentation de leur carte de "sécurité". Cette galerie commerciale sera ainsi réservée à 800 délégués de l'OTAN. Les universités seront fermées pendant deux jours. » Fin de citation.

    6. Mon interview pour le journal télévisé RTL du 28 juin 2004

    J'ai beau lire et relire le procès-verbal relatif à mon intervention télévisée, je n'ai toujours pas reconnu de revendication dans mes propos.

    Je m'excuse de devoir dire à nouveau que Monsieur le procureur se livre au plus odieux des mensonges et ne recule devant aucun artifice.

    On voit très bien dans l'interview que je parle à la troisième personne du pluriel et l orsque l'on parle à la troisième personne du singulier, il n'est pas question d'une quelconque implication de l'orateur. De plus, pour qu'il y ait revendication d'attentat, il aurait fallu que j'en aie l'intention. Or, non seulement, ce n'est pas le cas, mais en plus, ce n'est pas moi qui ai été retrouver le journaliste ; c'est lui qui est venu vers moi. D'autre part, dans cette interview, je n'ai nullement appelé à la violence ni la haine.

    C'est pourquoi je pense que cette nouvelle manipulation du Procureur Delmulle ne peut qu'être balayée d'un revers de la main.

    Conclusion

    Force est de constater que les faits énumérés à mon encontre par le procureur Delmulle n'ont rien de subversif et encore moins de répréhensibles.

    Les allégations de « dirigeant d'organisation terroriste » que je serais devenu après « avoir grandi dans l'organisation » sont manifestement un pur produit de son imagination malveillante et de son attitude partisane évidente.

    En effet, en dix ans d'activisme politique et social, j'ai toujours utilisé les mêmes moyens d'expression légaux et démocratiques.

    Plus qu'un qualificatif juridique, l'accusation de terroriste est une insulte visant ma personne mais également toutes celles et ceux qui ont consacré leur vie à faire de la Turquie et le monde un havre de paix et de fraternité.

    Que le Procureur Delmulle haïsse mes opinions ne me dérange pas le moins du monde. Mais qu'il se mette à m'insulter en me traitant de « terroriste » : je trouve cela inacceptable.

    Ces dernières années, j'ai eu l'occasion de côtoyer Sükriye Akar au bureau d'information du DHKC à Bruxelles. Sükriye y a consacré le plus fort de son temps aux détenus politiques, parmi lesquels Fikret Akar, son mari.

    Elle passa des mois entiers à scanner les lettres, les dessins et les revues envoyés à notre bureau par les prisonniers politiques de Turquie. Elle organisait la connexion entre les prisonniers politiques de tous les continents en traduisant les lettres des uns et des autres.

    A travers son incarcération, des centaines de détenus se retrouvent un peu plus réduits et condamnés, tant en Turquie que dans le monde.

    En la châtiant, ce sont les prisonniers politiques victimes de terrorisme de l'Etat turc que l'on punirait.

    Je me souviens que Musa Asoglu et moi-même avions été reçus le 10 octobre 2002 par le directeur général du Parlement européen, Monsieur Bo Manderup Jensen, à qui nous avions remis 155 000 signatures collectées lors d'une campagne contre les mauvais traitements et le régime d'isolement dans les prisons de type F.

    Ces deux faits indiquent bien que l'activité de Musa Asoglu et de Sükriye Akar dans le cadre du bureau d'information de Bruxelles, ont été de nature parfaitement légale et démocratique.

    Tout au long de mes dix années d'engagement politique et social, je n'ai jamais appelé à la haine mais bien à la résistance à l'oppression, tel que me le permet l'article 2 de la Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Ce n'est pas moi qui l'invente.

    Or, quand je parle de résistance à l'oppression, M. Delmulle parle de terrorisme contre la démocratie. Ce sont là des points de vue politiques qui sont exprimés.

    Vous m'accorderez donc, messieurs les juges, mon « médiactivisme » est une pratique indiscutablement garantie par l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 qui prévoit que : « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».

    Messieurs les Juges, c'est par idéal démocratique, par amour des libertés publiques et privées que je vous demande de ne pas céder aux attaques que le Procureur portées contre la démocratie et la liberté d'expression. Son réquisitoire digne des pires périodes du MacCarthysme, dresse un portrait diabolique de ma personne en mettant bout à bout des éléments non seulement indépendants les uns des autres, mais en plus parfaitement anodins et relevant du stricte droit d'expression. C'est pourquoi messieurs les juges, je vous demande de m'acquitter et de me permettre de continuer mon travail d'information et de solidarité, pour que la Turquie que j'aime devienne un jour réellement un pays démocratique.

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[1] Le 17 novembre 1998, l'institut kurde de Bruxelles situé rue Bonneels ainsi que d'autres associations kurdes, furent la proie de l'hystérie fasciste et furent incendiés suite au refus des autorités italiennes d'extrader le dirigeant du PKK Abdullah Öcalan vers la Turquie A l'époque, le premier ministre turc de l'époque Mesut Yilmaz avait clairement appelé aux représailles anti-kurdes en ces termes : « la Turquie ne laissera pas cela sans réponse ».


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