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Bulletin Comaguer 575
23 Septembre 2024
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Poutine retrouve Joukov en Mongolie
L’accueil très solennel du président russe par la Mongolie et son président du 2 au 4 Septembre permet de revenir sur les liens historiques très étroits entre les deux pays et s’explique largement par l’intensité de ces liens.
La Mongolie occupée par les mandchous qui gouvernent la Chine jusqu’en 1911 a compté au nombre des pays qui se sont rangés aux côtés de l’URSS à partir de 1922 au terme d’une période de troubles qui a consacré la division de la République Mongole et de la Mongolie intérieure qui reste une province chinoise. Cette proximité se confirme quand en 1924 la Mongolie adopte une nouvelle constitution et devient une République Populaire.
Cette proximité politique et stratégique avec l’URSS s’est maintenue après la chute de l’URSS et même si Moscou est à des milliers de kilomètres de Oulan-Bator il ne faut pas oublier que la Russie et la Mongolie ont 3500 km de frontières communes. Certes la frontière Chine/Mongolie mesure elle 4700 km mais historiquement la Mongolie avec ses 3,5 millions d’habitants trouve son voisin chinois un peu encombrant et entretient avec la Russie un rapport plus apaisé. L’ouverture du pays aux investissements étrangers et à des intérêts occidentaux depuis 1991 ne peut faire oublier la prépondérance des relations économiques et politiques avec les deux grands voisins.
Depuis 2022 le pays est présidé par Ukhnaagin Khürelsükh un dirigeant du Parti Populaire Mongol héritier du parti révolutionnaire du peuple mongol au pouvoir jusqu’en 1991.
Aussi la visite du Président russe devait inévitablement permettre d’évoquer d’importants évènements survenus en Mongolie dans la période de la deuxième guerre mondiale qui, rappelons-le, commence en Asie par l’invasion de la Chine par le Japon en 1937.
Après sa modernisation conduite par l’empereur (ère Meiji 1868) le Japon adopte une politique impérialiste expansionniste et de caractère fasciste comme en témoigne son traitement de la Corée et de la Chine nationaliste. En 1931 il envahit le Nord Est de la Chine et y crée un Etat fantoche le Mandchoukouo (Mandchourie) . La Mongolie, membre de l’Internationale communiste, a donc une frontière commune avec le Japon impérialiste ce qui va donc la conduire à signer avec l’URSS le 12 Mars 1936 un pacte d’assistance mutuelle . Le 23 Aout 1936, venant comme une réplique, le Japon signe avec l’Allemagne nazie le pacte Anti Komintern , pacte anti communiste et donc pacte antisoviétique. La menace sur La Mongolie communiste est donc confirmée . En 1938 le Japon occupe déjà Pékin et Nankin et toute la côte chinoise et les grandes purges dans l’état-major soviétique lui laissent espérer un succès facile en Mongolie qui ne devrait pas être secourue par une URSS en difficulté sur le plan intérieur. Le Japon informé par un général de l’armée rouge – Liushkov – passé à l’ennemi – multiplie donc les incidents frontaliers. Mais l’armée rouge n’est pas morte et va s’organiser pour mener une énorme bataille à l’autre extrémité de son territoire à plusieurs centaines de km de la plus proche gare du transsibérien. Le premier affrontement a lieu en Juillet Aout 1938 au lac Khassan à la frontière est du Mandchoukouo à quelques kilomètres de Vladivostok donc a priori l’endroit le plus difficile à approvisionner par l’armée soviétique. Les pertes sont importantes des deux côtés mais l’URSS l’emporte.
L’URSS qui voit les préparatifs de guerre s’intensifier aussi côté Ouest Hitler menace d’envahir la Tchécoslovaquie et à Munich (30 septembre 1938) la France et la Grande-Bretagne lui laissent les mains libres. Pour l’URSS la leçon est claire , elle va être attaquée sous peu par les nazis. Il Faut donc calmer temporairement la haine anti-slave affichée des nazis Ce sera l’objet du Pacte de non-agression Molotov – Von Ribbentrop conçu en réaction des accords de Muniche et signé finalement le …Pour éviter d’avoir à combattre sur deux fronts il faut affronter le Japon sans tarder. Staline confie donc la conduite de cette opération stratégique au jeune général Joukov qui va organiser à l’est de la Mongolie avec l’appui de l’armée mongole une des plus grandes batailles de la seconde guerre mondiale mobilisant blindés, artillerie, aviation et des dizaines de milliers d’hommes. C’est la bataille de Khalkhin Gol ou de Nomonhan. (Mai – Septembre 1939).
Quelques chiffres pour illustrer l’ampleur du combat tels qu’ils sont publiés par Wikipédia avec les réserves d’usage et accrues du fait que la bataille de Khalkhin Gol s’est déroulée dans une zone très peu peuplée loin de tout.
Effectifs militaires engagés : URSS de 60000 à 70000 combattants selon les périodes, la bataille s’étale sur 5 mois – Japon 30000 à 70000
Armement (chiffres arrondis)
URSS 500 tanks, 400 véhicules blindés légers , 900 avions , 600 canons, 4000 camions
Japon 70 tanks, 20 blindés légers,400 avions 300 canons, 1000 camions
Pertes : URSS 25000 hommes, Japon -estimation tardive très contestée -17000 hommes et probablement plus proche de 60000 mais masquée par les généraux japonais .
Les moyens engagés sont , comme on le voit, très importants. Il s’agit d’une des plus grandes batailles de blindés de la deuxième guerre mondiale. Pour l’URSS il s’agit d’un véritable prodige logistique qui sera reproduit dans l’offensive contre le Reich à partir de 1944. L’armement fabriqué à l’Ouest du pays arrive par le transsibérien dont la plus proche gare est à 700 km du champ de bataille.
Mais la défaite de la meilleure armée japonaise de l’époque va avoir des conséquences politiques et militaires majeures. L’armistice est signé le 15 Septembre 1939 alors que la guerre déclarée à l’Allemagne par la France et la Grande Bretagne vient de commencer à l’Ouest. Pour concentrer son effort de guerre sur la Chine le Japon signe avec l’ URSS en Avril 1941 le pacte de non-agression nippo soviétique . Il peut ainsi réviser sa stratégie en prévoyant d’encercler la Chine par la mer. Ainsi s’explique l’attaque de Pearl Harbour qui lui permet de s’emparer assez vite des colonies européennes Indochine, Indonésie, Singapour. Mais la Chine nationaliste aidée matériellement par l’URSS et militairement par l’armée britannique stationnée en Inde résiste et la pénétration terrestre japonaise marque le pas. Quant à l’avance maritime, spectaculaire dans les premiers mois elle va se transformer assez vite en reculades successives devant l’engagement massif des Etats-Unis dans la guerre du Pacifique .
La victoire soviétique à Khalkhin Gol est donc un tournant très important de la deuxième mondiale car pour les historiens militaires elle explique la réorientation de la stratégie japonaise la marine imposant son option (Cf Pearl Harbour et ses suites ) au détriment de l’armée de terre.
L’histoire de cette bataille et de ses conséquences considérables n’a été écrite que par des historiens anglo saxons dont les livres n’ont pas été traduits en français. Les deux plus importants portent le titre de Nomonhan un des villages où s’est déroulé un des épisodes les plus décisifs de la bataille :
Nomonhan: Japan Against Russia, 1939 par Alvin D. Coox (1276 pages)
Nomonhan, 1939: The Red Army's Victory That Shaped World War II par Stuart Goldman (240 pages)
Cet épisode méconnu en Occident ne l’est pas en Russie . Sa visite officielle en Mongolie a donc permis au Président russe qu’on sait féru d’histoire de rendre hommage au vainqueur de Khalkhin Gol : le Maréchal Joukov en saluant sa mémoire face au buste monumental du maréchal à Oulan Bator . Il existe également dans la capitale de la Mongolie un musée Joukov ouvert en 1979 qui a toute sa place puisque la victoire de Kalkhin Gol en débouchant sur la reconnaissance de sa neutralité dans le pacte de non-agression nippo-soviétique a permis à ce pays d’échapper à l’invasion japonaise.