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Déchets radioactifs : à Bure, l’Etat autorise les expropriations

samedi 9 juillet 2022, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 9 juillet 2022).

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9 juillet 2022 à 09h57

Émilie Massemin

Lors du procès de Bar-le-Duc contre des militants antinucléaires opposés à Cigéo, en juin 2021. - Quentin Zinzius/Reporterre

Le 8 juillet 2022, le projet Cigéo a été déclaré d’utilité publique et classé parmi les opérations d’intérêt national. Ces décrets suscitent nombre d’inquiétudes : l’État et l’Andra ont désormais de quoi accélérer le projet.

C’est une étape supplémentaire franchie pour le projet Cigéo d’enfouissement des déchets radioactifs près de Bure (Meuse). Le 8 juillet, deux décrets pris la veille par la Première ministre Élisabeth Borne ont été publiés au Journal officiel. Le premier inscrit Cigéo parmi les opérations d’intérêt national (OIN) ; le second le déclare d’utilité publique ; et l’ensemble est censé permettre au gouvernement et à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra) d’avoir les mains entièrement libres pour donner un coup d’accélérateur au projet, dénoncent les opposants.

Concrètement, de quoi s’agit-il ? En désignant Cigéo comme opération d’intérêt national, l’État se réserve le pouvoir de définir les politiques d’urbanisme et d’aménagement locales et de délivrer les autorisations d’occupation des sols, parmi lesquelles les permis de construire, ce qui est normalement une prérogative des mairies. 3 641 hectares répartis sur onze communes sont concernés par ce changement de souveraineté. « Cela signifie que cette zone va être entièrement dédiée, en priorité, au développement de Cigéo », alerte Joël Domenjoud, membre du Front associatif et syndical contre Cigéo [1] et administrateur du réseau Sortir du nucléaire.

L’opposant n’a pas été surpris par la publication de ce décret. En juin 2021, l’ancien Premier ministre Jean Castex avait en effet préparé le terrain en signant un décret autorisant la construction d’une installation nucléaire sur une zone à urbaniser dans le cadre d’une opération d’intérêt national. « C’était un texte taillé sur-mesure pour Cigéo », se souvient l’opposant. Qui redoute des conséquences à très court terme pour les habitants : « Avant même que Cigéo soit désigné opération d’intérêt national, un paysan installé entre Bure et Mandres-en-Barrois n’a pas pu construire son hangar agricole. On craint que l’OIN soit systématiquement invoquée pour bloquer des opérations locales d’urbanisme. »

Expropriations, aménagements…

Mais c’est la déclaration d’utilité publique qui suscite le plus d’inquiétudes. Elle permet en effet d’exproprier des propriétaires installés sur l’emprise du projet. Joël Domenjoud craint que le décret n’ouvre une période d’expulsions beaucoup plus agressives. « Ces quinze dernières années, l’Andra a acquis quelque 3 000 hectares de réserve foncière, principalement des terres agricoles et des forêts, et privilégié les négociations à l’amiable avec les propriétaires en proposant des échanges », rappelle-t-il.

Si l’Andra est aujourd’hui propriétaire de 83 % des 665 hectares nécessaires aux installations de surface du projet Cigéo, « il reste une centaine d’hectares à acquérir, majoritairement des parcelles agricoles et pour un tiers des chemins et autres voies. Si les […] négociations amiables […] n’aboutissaient pas, la déclaration d’utilité publique permettrait d’entamer les procédures relatives aux acquisitions par voie d’expropriation », confirme l’Andra par écrit à Reporterre.

Certains lieux pourraient ne pas y échapper, comme l’ancienne gare de Luméville-en-Ornois qui appartient à des opposants au projet et est devenu un lieu d’habitation. Plus généralement, chacun des 21 kilomètres de cette voie ferrée, destinée à accueillir un à deux convois de déchets radioactifs par semaine, risque d’être âprement discuté, prédit Joël Domenjoud : « De nombreux aménagements vont être construits, ponts et passages à niveau, qui vont impacter la circulation dans de très nombreuses communes. Sans parler de la remise en service de certains tronçons situés à 3 ou 4 mètres d’habitations. »

Enfin, le projet Cigéo peut être amené à évoluer et à s’étendre, notamment si les six nouveaux EPR annoncés par le président de la République sont un jour mis en service. Dans ce cas, la déclaration d’utilité publique pourrait se révéler très utile pour chasser des propriétaires qui ne sont pas installés sur l’emprise actuelle de la décharge radioactive, redoute l’opposant.

« Une mascarade »

Le dossier de demande de déclaration d’utilité publique avait été déposé au ministère de la Transition écologique en août 2020. Il avait été examiné par plusieurs services de l’État et organismes indépendants, parmi lesquels l’Autorité environnementale qui s’était montrée très critique en janvier 2021. Il avait aussi fait l’objet d’une enquête publique à l’automne de la même année. Le 20 décembre 2021, les commissaires enquêteurs avaient rendu un avis favorable, assorti de cinq recommandations. Les opposants s’étaient mobilisés contre cette consultation, qu’ils avaient qualifiée de « mascarade ».

Plusieurs centaines de personnes ont participé au week-end antinucléaire organisé par le collectif Les Rayonnantes, près de Bure, en août 2021. Amélie Quentel/Reporterre

« 4 158 contributions ont été recueillies, parmi lesquelles trois pétitions en défaveur de Cigéo regroupant 2 129 dépositaires. “Sur le plan purement comptable, si l’on prend en compte les pétitions, le public est majoritairement opposé au projet”, admettaient les commissaires », rappelle la coordination Stop Cigéo dans un communiqué publié le 8 juillet. « L’enquête publique a eu lieu en pleine pandémie. L’information dans les villages a été très faible. Il n’y a eu qu’une seule réunion publique. Surtout, pour un projet d’une telle ampleur, la consultation aurait dû être nationale », renchérit Joël Domenjoud.

« La déclaration d’utilité publique de Cigéo n’autorise pas la création du centre de stockage. Cette autorisation pourrait intervenir à l’issue de l’instruction de la demande d’autorisation de création qui sera déposée auprès de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) à la fin de l’année 2022 », précise bien l’Andra dans un communiqué publié le 8 juillet. Mais l’agence précise par écrit à Reporterre que des aménagements préalables — diagnostics, archéologie préventive, renforcement des réseaux en électricité et en eau, voies SNCF — pourraient commencer aux alentours de 2025.

« On s’attend à une remobilisation très forte de la lutte »

« Ces travaux préalables sont en réalité une manière déguisée d’ancrer physiquement sur le territoire un site industriel non autorisé à ce jour, et qui soulève pourtant de très lourdes interrogations en termes de sûreté. La persistance de certains risques (incendie et explosion souterraine) exige la réalisation d’expertises complémentaires qui ne seront pas disponibles avant 2026. Quel sens cela aurait-il de commencer les travaux préparatoires alors que tant de lacunes persistent et que le dossier de demande d’autorisation de création n’a même pas encore été déposé ? » dénonce le Front associatif et syndical dans un communiqué du 8 juillet.

Pas question en tout cas de rester les bras croisés. La riposte juridique est déjà dans les tuyaux contre la déclaration d’utilité publique et, dans quelques mois, la déclaration d’autorisation de création. « On va enfin déposer les recours juridiques qu’on prépare depuis très longtemps, parce que concrètement, on ne peut attaquer un projet qu’à partir du moment où il a atteint la phase du premier décret d’utilité publique », explique Joël Domenjoud. Qui espère aussi un regain des mobilisations de terrain : « On s’attend à ce que l’Andra lance tous les chantiers en même temps, ce qui va probablement créer une crispation très importante au niveau local, une confrontation très forte et probablement une remobilisation très forte de la lutte. » Plusieurs rendez-vous militants sont déjà prévus cet été : la Fête des barricades à Luméville du 11 au 17 juillet, puis le festival les Bure’lesques du 5 au 7 août.

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