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Les quinze guerres d’Israël contre Gaza

dimanche 17 mars 2024, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 17 mars 2024).

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17 mars 2024

Asawra

Des Palestiniens en prière sur les ruines de la mosquée Al-Farouq, détruite dans un bombardement israélien, à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, le 15 mars 2024. MOHAMMED ABED / AFP

Israël a mené depuis 1948 quinze guerres contre la bande de Gaza, toutes des succès militaires débouchant pourtant sur des défaites politiques, à l’exception de la première Intifada, que le premier ministre Yitzhak Rabin avait conclue en signant les accords d’Oslo avec Yasser Arafat.

La guerre qu’a déclenchée Israël contre la bande de Gaza, à la suite du carnage terroriste perpétré par le Hamas, le 7 octobre 2023, est de très loin la plus meurtrière de l’ensemble du conflit israélo-palestinien. Elle n’est cependant que la quinzième des guerres qu’Israël a livrées à l’enclave palestinienne depuis les hostilités fondatrices de 1948, qui ont transformé la prospère oasis de Gaza, carrefour plurimillénaire d’échanges entre l’Egypte et le Levant, en une « bande » de territoire, aux contours définis par le cessez-le-feu entre Israël et l’Egypte. Alors que l’Etat hébreu absorbait 77 % du territoire de l’ancienne Palestine et que la Jordanie en annexait 22 %, la « bande de Gaza », administrée par l’Egypte sans lui être annexée, accueillait le quart de la population arabe de Palestine sur 1 % de son territoire historique.

Les habitants de l’enclave palestinienne, dont la densité inquiétait déjà les observateurs de l’époque, étaient constitués aux deux tiers de réfugiés venus de toute la Palestine, d’où le rôle structurant qu’assuma dès l’origine l’UNRWA, l’agence de l’Organisation des Nations unies dédiée aux réfugiés palestiniens, devenue le premier employeur et le premier prestataire de services de la bande de Gaza. De cette écrasante majorité de réfugiés découle aussi la transformation de Gaza en creuset du nationalisme palestinien, porté par la lutte armée des fedayines.

De la guerre des frontières aux Intifadas

Après la guerre fondatrice de 1948, les cinq guerres suivantes ont été menées par Israël pour tenter, déjà en vain, d’éradiquer le nationalisme palestinien. C’est d’abord la « guerre des frontières », qui voit Israël implanter une ceinture de sécurité de kibboutz militarisés aux portes de l’enclave palestinienne, avec un cycle d’hostilités de basse intensité entre « infiltrations » palestiniennes et « représailles » israéliennes. Puis c’est la première occupation israélienne de Gaza, de novembre 1956 à mars 1957, d’autant plus sanglante qu’elle est vouée à éliminer les fedayines et leurs réseaux, une élimination qui ne sera néanmoins effective qu’avec le rétablissement de la tutelle égyptienne.

C’est ensuite la guerre des Six-Jours israélo-arabe de juin 1967, à la suite de laquelle l’armée israélienne occupe de nouveau l’enclave palestinienne. Cette victoire éclair n’épargne pourtant pas à Israël une laborieuse « guerre de quatre ans » contre une guérilla palestinienne de basse intensité, qui n’est défaite, sous l’autorité du général Ariel Sharon, que par la destruction d’une partie de l’enclave et par l’émergence d’une alternative islamiste au mouvement nationaliste. Durant la « guerre de l’ombre » qui s’ensuit, les services israéliens mobilisent les Frères musulmans du cheikh Ahmed Yassine, le futur fondateur du Hamas, contre les partisans de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP).

La septième guerre d’Israël contre Gaza sera la seule où la victoire militaire débouche sur une dynamique de paix, seule à même de garantir politiquement pour Israël les acquis militaires d’une telle victoire. Il s’agit de la première Intifada, ce « soulèvement » non armé de la population des territoires occupés en 1967, à la faveur duquel l’OLP endosse la « solution à deux Etats ».

L’armée israélienne a beau jouer le Hamas contre l’OLP pour affaiblir le soulèvement palestinien, l’élection de Yitzhak Rabin, en juin 1992, permet au « camp de la paix » de l’emporter en Israël. C’est la percée historique, en septembre 1993, des accords d’Oslo, négociés dans la capitale norvégienne entre Israël et l’OLP, qui reconnaissent ainsi la légitimité de leur nationalisme respectif.

Une « Autorité palestinienne », présidée par Yasser Arafat, prend en charge les territoires très progressivement évacués par Israël, à commencer par les trois quarts de la bande de Gaza. Mais cette paix accumule les frustrations pour la population israélienne, du fait des attentats du Hamas, et la population palestinienne, du fait de la poursuite de la colonisation. D’où la seconde Intifada, cette fois armée, de septembre 2000, qu’Ariel Sharon, devenu premier ministre en février 2001, réprime avec méthode, jusqu’à décréter le retrait unilatéral de la bande de Gaza, en septembre 2005.

Une guerre tous les deux ans

Alors que Yitzhak Rabin avait gagé sa victoire face à la première Intifada sur un processus de paix avec l’OLP, Ariel Sharon refuse de négocier avec l’OLP son retrait de Gaza, favorisant ainsi le Hamas dans l’enclave palestinienne. Les dirigeants politiques et militaires d’Israël sont pourtant convaincus d’avoir, avec ce contrôle à distance, trouvé la formule la moins coûteuse pour gérer le défi persistant de Gaza. Ils ne nourrissent aucune illusion sur le nouveau cycle d’hostilités qu’ils ont ainsi ouvert, la première de leurs offensives, lancée dès octobre 2005, portant le nom symbolique d’« Eternel recommencement ».

Cette dynamique militariste ne peut qu’affaiblir l’OLP, expulsée en juin 2007 par le Hamas de la bande de Gaza, dès lors stigmatisée collectivement par Israël comme « entité hostile ». Une telle assimilation de l’ensemble de Gaza au Hamas est naturellement tragique pour la population locale, dont le quadrillage par les milices islamistes est en outre facilité par le blocus israélien. Au sein même du Hamas, un tel blocage favorise la montée en puissance des plus extrémistes, consacrée par la prise de pouvoir à Gaza, en février 2017, de Yahya Sinouar.

Peu importe alors aux gouvernements successifs d’Israël, aux yeux de qui l’essentiel est le ratio désormais très favorable entre les pertes israéliennes, essentiellement militaires, et les pertes palestiniennes, très majoritairement civiles, durant chaque conflit à Gaza : 13 tués contre 1 417 en décembre 2008 et janvier 2009, 6 contre 166 en novembre 2012 et 72 contre 2 251 en juillet et août 2014. Le niveau relativement élevé des pertes israéliennes en 2014 s’explique par le choix du premier ministre, Benyamin Nétanyahou de lancer, déjà, une offensive terrestre, par définition plus coûteuse en hommes, malgré de très discutables résultats.

La décision du même Benyamin Nétanyahou d’écraser dans le sang, à partir de mars 2018, les « marches du retour » vers la frontière avec Israël permet à Yahya Sinouar d’étouffer les dernières voix dissidentes à Gaza. En mai 2021, des émeutes à Jérusalem-Est autour de la mosquée Al-Aqsa, troisième lieu saint de l’Islam, entraînent un cycle d’hostilités où sont tués à Gaza 15 Israéliens et 256 Palestiniens. Les dirigeants israéliens sont persuadés que le ratio des pertes leur restera indéfiniment très favorable et qu’ils conserveront tout aussi indéfiniment l’initiative militaire à Gaza.

Cette illusion s’effondre en Israël dans l’épouvante du 7 octobre 2023. Et l’horreur dans laquelle sont plongés depuis lors les 2,3 millions d’habitants de Gaza devrait rappeler au monde entier qu’il n’y a pas, qu’il n’y a jamais eu et qu’il n’y aura jamais de solution militaire à Gaza.

Jean-Pierre Filiu
(Professeur des universités à Sciences Po)
Le Monde du 17 mars 2024

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