Les élections permettent de déterminer qui sera le ou la prochaine dirigeante d’un pays. Ce système étant culturellement lié à nos démocraties il est donc présenté comme un bon système, car il tend théoriquement à prendre en compte l’avis du peuple dans son ensemble afin de restituer les tendances idéologiques qui le composent. La tendance majoritaire l’emporte, le reste du peuple ayant accepté de prendre part à la compétition par le biais de ses représentants. Au soir des élections on entend donc souvent dire dans les discours des vainqueurs, mais aussi des perdants, que le peuple s’est exprimé et que la démocratie s’est prononcée. S’en suivent des clins d’oeil "républicains" entre adversaires afin de saluer le talent qu’ils ont et le respect qu’ils suscitent.
Tout paraît idéal dans ce système. Et pourtant. Ce système qui doit théoriquement unir le peuple afin qu’il s’exprime l’empêche de le faire d’une seule et même voix. Car le principe est que chaque électeur "donne" sa voix afin de choisir un "projet". Ceux qu’on appelle les "représentants" ne sont pas là pour "nous" représenter comme des VRP, ils ne portent pas nos voix. Ils sont des "représentants" au sens théâtral et artistique du terme, ils participent à une représentation qu’ils mettent en scène. Comme des peintres qui s’inspirent de la nature, ils la traduisent avec leurs mots à eux et leurs visions uniques, en spectateurs nous départageons ces visions.
L’union ne peut donc pas exister, car tout l’enjeu des élections est de nous pousser à faire un choix en soutenant un "parti". Ce terme devrait nous mettre la puce à l’oreille. Lorsqu’on va dans "l’isoloir" pour prendre parti, on ne se rapproche pas de l’ensemble du peuple, on n’y compte pas et on n’en tient pas compte, car on s’exprime soi-même et uniquement soi-même, pour témoigner du choix que l’on a fait face aux "offres" politiques. Certains électeurs qui ne sont que sympathisants feront un choix peut-être basé sur l’éloquence ou le culot des candidats, d’autres chercheront celui qui promet la prise en compte du plus grand nombre, mais ceux qui militent pour leur part, qui sont ceux qui "activent" la campagne et la politique dans notre entourage direct, ils feront un choix purement séparatiste.
Ce que j’entends par là c’est que le militantisme partisan en vue d’élections implique que durant des mois on ne débattra de rien avec personne, à moins de pouvoir caser une riposte pré-mâchée et conçue par des think-tanks internes aux partis. C’est que le militantisme consistera non pas à démocratiser un projet garantissant vraiment un avenir pour tous, mais à convaincre le plus grand nombre que c’est en soutenant ce projet là qu’on fera partie de ceux qui en auront un.
Et pour cause. Si je me présente et que demain je gagne, mes partisans viendront m’écouter prononcer un discours saluant les qualités de mes adversaires, miracle de la démocratie oblige, puis nous danserons au son de l’accordéon pour "fêter" notre "victoire". Je n’ai jamais compris cet esprit là. Dans la si belle démocratie de la pluralité, on fête notre victoire, quand sur d’autres places et dans d’autres QG on pleure à chaudes larmes sans comprendre pourquoi le reste de la France n’a pas suivi.
Autre problème, ce "reste" de la France qui n’a pas suivi. Pour ceux qui perdent, il s’agit des électeurs qui ne les ont pas soutenus. Il y a donc une autre population "en reste" qui elle ne compte pour personne ; ceux qui ne votent pas. Ceux-là quand on écoute les électeurs, ils ne sont bons à rien et ont le droit de garder le silence. Soit. Oublions-les donc. Dans un pays de 66 millions d’habitants en 2012 37 millions d’électeurs se sont prononcés pour le second tour de la présidentielle. Un peu plus de 50%. Le président a été élu par un peu plus de la moitié de ces 50% de 66 millions d’habitants. En clair, 18 millions de français ont voté et ont voté Hollande au deuxième tour.
Si on accepte une seconde de sortir sa tête du paradigme politique républicain, cette architecture sociale aliénante, il n’est pas utile de fournir un effort immense pour comprendre tout le souci et le paradoxe de la prometteuse démocratie : 18 millions de gens choisissent le président qui en gouverne 66. Est-ce donc l’expression "d’une majorité de français" ?
A cette question on répond souvent que sur 66 millions de français, des enfants, des prisonniers, délinquants criminels etc n’ont pas le droit de voter, ce qui explique qu’on ne puisse techniquement pas prendre en compte l’avis du peuple entier ; pas forcément en capacité d’exprimer un choix politique. Cela devrait clore la discussion. Donc, il y a une explication logique au fait que 18 millions de gens choisissent notre président à nous les 66 millions.
Pourquoi pas. Si les chiffres peuvent dire tout et son contraire, les principes aussi ?
Où est passé la volonté de rassembler le peuple quand il ne s’agit en réalité que de faire la mise en scène d’un conflit qui l’habite et qui le divise en dizaines de partis étalés sur un éventail de couleurs ; qui nous donnent des élus disposés pareil à l’Assemblée, et dont le rôle est de nous "représenter" en vociférant sur tous ceux qui ne sont pas de la même "famille" ?
Même ceux qui promettent la révolution sociale, le réveil citoyen et tout cela ne sont que de sacrés menteurs, lorsque pour atteindre le sommet de l’échelle ils participent à la mascarade séparatiste des élections.
C’est une tristesse d’imaginer que les bons "citoyens" sont ceux qui soutiennent le plus les rouages de la république et de la démocratie élective, car ces citoyens croient donc dans la nécessité de l’affrontement. Ils font vivre ce mythe qui dit que dans un pays où on serait toujours d’accord, on vivrait en dictature ou dans l’uniformité, ils font comme si s’engueuler c’était le signe d’une démocratie pleine de vitalité. Alors qu’est-ce donc que cette démocratie à la fin ? La glorieuse discorde ? Le mystère dualiste qu’on avait pourtant résumé dans "diviser pour mieux régner" ?
Depuis gamin je vois ce spectacle et plus je suis adulte plus je me sens malade, et plus je nous sens tous malades, à soutenir les piliers d’un système qui ne nous opprime pas mais qui nous pousse à nous "entre-opprimer" tout en trouvant cela honorable. Qu’on soit de droite ou de gauche, on se retrouve content entre gens d’accord, pourtant ça nous paraît impossible de vivre dans un pays qui soit "entièrement" content, alors on fait tout ce qui est possible pour afficher en quoi on n’est pas d’accord avec les autres, qui eux aussi se réunissent en familles idéologiques.
Et c’est la drague aux identités et aux profils socio-culturels, on se fait caster sans le savoir, quand alter-mondialiste on succombe aux charmes de la gauche et quand héritier ou magnat on espère tout se garder en allant soutenir la droite. "Est-ce que les gens naissent égaux en droits à l’endroit où ils naissent ?".
Surement pas. C’est pour cela que les gens sont différents, ils disposent bien des mêmes droits humains, de base, qu’on croyait tous pouvoir reconnaître sur Terre à tous les endroits, mais pas au même degré, pas dans la même orientation, car c’est la politique qui les domine, et donc un parti, une vision, une partie de population qui n’est peut-être pas la leur. Alors le jeu du pouvoir consiste à se mettre en position de dominer, soi et sa famille idéologique, afin de se prémunir des oppressions des adversaires, qui puisqu’on devient la majorité…deviennent les opposants.
Quoi qu’il arrive et quoi que nous promettent les candidats aux élections lorsqu’ils évoquent le "peuple de France" dans sa "magnifique diversité", ils le font au coeur d’une compétition idéologique dont l’objectif est de faire reconnaître leur supériorité sur d’autres, qu’ils osent du même coup dénoncer d’être des "hypocrites". Que sont-ils donc ces politiques qui "représentent" une attitude séparatiste du "on sait tout mieux que tout le monde", qui évoquent le "rassemblement" jamais plus large que celui d’une famille, pendant que l’humanité les multiplie ?
Ces gens, prophètes en l’État, sont ceux qui une fois élus décident de représenter telle ou telle vision de l’ensemble que nous formons. Ce choix issu d’une compétition redéfinit le paysage non seulement politique mais aussi moral. Ces gens à qui nous confions le pouvoir et non pas une mission sérieuse, sans quoi on rangerait l’accordéon un petit peu, ce sont les gens qui véhiculent le racisme, la guerre, les magouilles, les questions d’argent. Ce sont eux qui poussent des milliers de français à devenir militants et à se trimbaler partout affublés de stickers, de pins, de drapeaux et pires, d’arguments de riposte implantés dans leurs têtes conçus pour fondre dans la bouche.
Ce système paradoxal impose à tous de l’oublier, le "tous". Ou d’espérer que toutes les autres parties de ce "tous" ne seront pas plus grande que la nôtre, et que pendant cinq ans on pourra jouer de l’accordéon en posant des affiches partout.
Mais la réalité politique, la vraie, hors du paradigme minable de ces règles arbitraires et purement symboliques, qui nous shootent à l’incarnation mystique du pouvoir, c’est celle du quotidien qui fait que là où on bosse, là où on étudie, là où on chie même, on croise des gens différents qui vivent leur vie comme nous vivons la nôtre, avec qui nous n’échangeons rien sur nos idéologies, mais avec qui parfois on échange un sourire ou un dialogue, même usuel, par politesse. La politique humaine n’a pas de textes ni de lois, elle émane de l’humain, et l’humain n’est pas un ressortissant de la politique, ce que cherche à fabriquer la république.
Alors ne votons plus, pas parce que les candidats sont mauvais ou parce qu’on est déçus, mais parce que la façon dont cela s’organise depuis toujours, aux fondements mêmes des élections, c’est la division du peuple, un racisme virtuel qui ne se base plus sur les couleurs mais sur les idées. Peu importe qui promet quoi, si ce qu’il prétend apporter nécessite qu’une partie du peuple en écrase une autre, ce n’est surement pas liberté égalité et fraternité.
Si la République est une et indivisible, qu’on me le dise simplement : à quoi servent les partis ?