24 mai 2002
LA FONDATION D'ISRAËL
FUT UN NETTOYAGE ETHNIQUE
Témoignage spécial Ilan Pappé
24/05/2002
Interview de Ilan Pappé, réalisée par Amaya El Bacha.
Ilan Pappé est un universitaire israélien actuellement objet d'une procédure d'expulsion de l'université de Haïfa où il enseigne depuis 10 ans.
M. Ilan pappé,
vous êtes une des figures de proue du courant connu sous le nom des "nouveaux
historiens" israéliens, né en 1988, date à laquelle les archives israéliennes
et britanniques ont été ouvertes, ce qui a permis une nouvelle lecture de
ce qui s'est réellement passé en mai 1948, date à laquelle a été créé
l'état d'Israël. Cette fête nationale pour les Israéliens est une Nakba ou
grande catastrophe pour les Palestiniens qui se sont vu expulsés de leurs
terres.
Vos recherches
d'historien vous ont conduit à affirmer la thèse selon laquelle un nettoyage
ethnique avait été commis à ce moment là, nettoyage à l'origine du conflit
au proche orient. Cette Nakba, Cette catastrophe, vous en parlez dans votre
illustre ouvrage "la guerre de 1948 en Palestine aux origines du conflit israélo-arabe",
où vous racontez l'exode des palestiniens chassés de leurs terres et leur
destin une fois devenus des réfugiés. Notons que vos ouvrages n'ont jusque
là pas été publié en hébreu alors qu'ils ont été écrits en hébreu et traduit
en anglais et en français.
Ilan Pappé, vous
enseignez, depuis 10 ans, l'histoire du moyen-orient, à l'université de Haifa.
Vous avez reçu dimanche 12 mai une convocation à un procès dans votre
université. L'accusation représentée par le professeur Arye Rattner, Doyen
de la faculté des Sciences humaines, demande votre expulsion en raison de
propos diffamatoires que vous auriez tenu contre cette institution, en l'an
2000, à la suite de l'affaire Katz, du nom d'un étudiant de maîtrise Teddy
Katz, qui a dévoilé, selon vous, un des massacres les plus horribles perpétré
par l'armée israélienne en 1948. Celui du village de Tantura.
Q : Quelles
sont selon vous les véritables raisons de cette tentative d'expulsion ?
R : trois raisons
ont motivé cette décision :
La première, est que j'ai signé une pétition appelant la communauté européenne à sanctionner le milieu académique israélien pour son manque d'indépendance à l'égard du gouvernement. J'ai été l'un des neuf universitaires israéliens à le faire ce qui a provoqué la colère de nombreuses personnes à l'université qui ont alors décidé d'utiliser mes critiques lors de l'affaire Katz pour régler du même coup un vieux compte.
La deuxième
raison est que j'ai finalement réussi à trouver un journal universitaire en
hébreu qui a accepté de rendre publique un article retraçant l'affaire Katz,
le massacre de Tantura, ainsi que les critiques que j'ai émises à l'égard
de l'université à cause de sa position dans cette affaire. J'avais fait cet
article en anglais à l'époque de cette affaire. Mais les Israéliens ne lisent
pas l'anglais. Ils s'en moquent, vous pouvez tout publier tant que vous ne
le faites pas en hébreu. La demande d'expulsion est aussi une tentative pour
empêcher cette publication.
La troisième raison
est que je m'apprête à donner un cours sur la Nakba l'an prochain à l'université.
Personne ne l'a jamais fait avant dans les universités israéliennes. On ne
peut pas dicter à un enseignant le contenu de son cours en Israël. Dieu merci,
nous avons encore cette indépendance alors on essaye de vous expulser pour
que le cours n'ait pas lieu.
L'appel au boycott
du milieu académique israélien, l'article en hébreu sur l'affaire Katz et
le massacre de Tantura ainsi que mon cours sur la Nakba sont les véritables
trois raisons de cette expulsion.
Mais les raisons
qui m'ont été signifiées dans la convocation ont été quelques critiques que
j'avais énoncées en condamnant l'université à la suite de l'affaire Katz à
savoir : j'avais jugé immoral la position adoptée par l'université dans
l'affaire et j'avais parlé de lâcheté mûe par des motivations idéologiques.
Q : Pouvez-vous
me parler du massacre du village de Tantura, sujet de mémoire de Teddy Katz
et de la procédure pénale dont a fait les frais l'étudiant à la suite des
conclusions de sa recherche basée sur les témoignages enregistrés des survivants
du massacre et de vétérans israéliens qui ont participé à ce massacre ?
R : Le village
de Tantura faisait parti des 64 villages palestiniens qui se situaient
dans la petite région très peuplée, délimitée par ce qui est devenu aujourd'hui
Tel-Aviv au sud et Haïfa au nord.
En mai 1948,
tous ces villages ont été effacés. Leurs habitants ont été expulsés. L'armée
israélienne se contentait en principe d'expulser les Palestiniens. Elle ne
les massacrait pas. Mais à Tantura, un très grand village de 1500 habitants,
l'armée a encerclé le village. Les habitants n'avaient aucun moyen de s'échapper.
Les soldats se sont retrouvés avec tous ces palestiniens à leur merci. C'est
alors qu'ils ont décidé de les massacrer. Ils ne voulaient pas se retrouver
avec des prisonniers de guerre.
À chaque fois
que cette situation s'est présentée, il y a eu recours au massacre. Les femmes
étaient épargnées mais les hommes dont l'âge était au-dessus de 13 ans, y
passaient. Les conclusions de Katz correspondent aux éléments faisant partie
de l'histoire orale, aux témoignages ainsi qu'aux archives de l'armée israélienne.
Les recherches ultérieures que j'ai réalisées sur la question m'ont fait aboutir
aux conclusions de Katz : 200 à 250 personnes massacrées à Tantura et
ceci, dans le cadre d'une entreprise plus globale de nettoyage ethnique plus
global qui a au lieu en 1948 et que nous avons pointé du doigt.
Q : L'université
avait octroyé la mention très bien au mémoire de Katz dont des extraits ont
été repris par la presse israélienne lançant un débat en Israël qui a poussé
des vétérans de la brigade qui a commis ce massacre à Tantura à poursuivre
l'étudiant pour diffamation
R : L'unité qui
porte la responsabilité du massacre de Tantura a traîné Teddy Katz devant
la justice pour diffamation
Q : cette même
unité dont certains membres se sont confiés à Teddy Katz
R : Oui. Certaines
personnes avaient admis avoir commis le massacre. Quelques uns ont nié ce
qu'ils avaient affirmé lors de ces témoignages mais les enregistrements attestent
de ce qu'ils avaient d'abord avoué. Puis, pour des raisons que Katz lui-même
n'arrive pas à s'expliquer, après deux jours de procès, il a déclaré à la
cour "j'ai eu tort j'ai fabriqué ces témoignages, j'ai menti, ils n'ont pas
commis un massacre, je demande des excuses !" Il faudrait l'écouter.
Il pourrait s'expliquer. Il subissait à l'époque, une énorme pression. Ce
qui est important, c'est que 12 heures plus tard il s'est dit "mais qu'est
ce que je viens de faire ? Je maintiens mes conclusions" mais c'était
évidemment trop tard. Les excuses faites l'avaient discrédité aux yeux du
public. Il a alors exprimé le désir de faire appel mais le tribunal en Israël
ne vous permet pas de le faire si vous avez signé des excuses. L'affaire s'est
ainsi terminé en novembre 2001. L'université lui a alors retiré son titre
et son mémoire. Il est assez naïf. Il veut réécrire sa thèse pour aboutir
aux même conclusions dans l'espoir qu'elle soit acceptée cette fois-ci. J'en
doute fort ! Il a l'intention de présenter de nouveau sa thèse dans deux
mois.
Q : Quelle
a été votre réaction à l'issue de l'affaire Katz ? Réaction qu'on vous
reproche aujourd'hui, presque deux ans plus tard ?
R : J'ai rédigé
une lettre à l'intention de nombreuses associations d'historiens dans le monde.
Je leur ai dit que j'étais seul dans ma lutte contre la décision de l'université
de ne pas reconnaître le travail de recherche de Katz. Dans ma lettre, j'ai
dénoncé l'attitude de l'université et disait que l'institution aurait pû reprendre
Katz sur les cinq ou six imperfections qu'il a commises dans son mémoire,
ce qui d'ailleurs n'aurait rien changé à la conclusion finale. Il les aurait
ainsi inclus et l'affaire aurait été bouclée pour de bon. Mais au lieu de
cela, l'université a tout fait non pas pour faire échouer Katz mais pour que
la vérité ne se fasse pas sur ce point de la Nakba. J'ai alors expliqué cela
aux présidents d'associations. Je leur ai dit que l'importance de leur intervention,
car si l'université avait été soumise alors, à une véritable pression extérieure,
elle aurait peut-être reconsidéré sa position. Mais, American Release and
Studies Association a été la seule association à répondre à mon appel et l'université
a donc ignoré son intervention.
Q : comment
a réagit l'université à vos critiques à l'époque ?
R : Je suis boycotté
à l'université depuis. Je suis exclu de toutes les rencontres universitaires,
de tous les séminaires qui se tiennent et des conférences. Ce boycott atteint
son summum avec ce procès intenté contre moi pour tenter de m'expulser et
que doit prendre en charge le seul tribunal habilité à le faire. Le tribunal
disciplinaire qui peut expulser un enseignant même après 10 ans d'ancienneté.
Q : Au lieu
de demander à vos collègues de vous soutenir vous avez fait appel aux universitaires
dans le monde. Parce que vous aviez testé par le passé leur passivité à diverses
occasions. Pouvez-vous me parler de ces occasions là et la raison pour laquelle
ils restent passifs cautionnant du coup la répression de la liberté de pensée
et d'expression ?
R : Quand j'ai
publié ma position à l'issu de l'affaire Katz, l'université a annulé ma participation
à trois conférences majeures qui ont eu lieu à l'Université de Haïfa et auxquelles
j'avais été convié avant l'affaire Katz. J'ai alors fait appel à mes collègues
à l'université pour leur demander de condamner publiquement ces annulations.
Ils ont alors refusé de le faire. J'ai ensuite reçu quelques lettres personnelles
où quelques collègues m'exprimaient leur soutien. Quand je leur ai demandé
l'autorisation de publier ces lettres, ils ont de nouveau refusé.
Vous me demandez
pourquoi ils se comportent de la sorte. Je peux vous répondre que le système
académique en Israël est très conformiste. Ce sont des gens qui n'ont pas
le courage de leurs idées. Ils ne sont pas prêts à mettre en danger leurs
carrières. C'est une chose d'écrire un article général sur le droit des palestiniens
à un État, mais c'est tout autre chose de se mettre en danger pour dénoncer
la persécution d'une personne qui a des idées différentes, des idées anti-sionistes
ou tout simplement parce qu'elle est arabe. Dans mon université, je n'ai trouvé
personne qui soit prêt à prendre ce risque. Mais, maintenant et après ma convocation
à comparaître devant un tribunal disciplinaire, il semble que de nombreux
collègues commencent à se réveiller et se rendent mieux compte de ce qui se
passe. Peut-être que cette fois j'obtiendrai un véritable soutien, mais c'est
encore trop tôt pour le dire.
Q : Vos étudiants
ne réagissent pas non plus ?
R : Mes étudiants
veulent réagir mais je ne veux pas qu'ils le fassent. Ils sont trop vulnérables
et risquent de se voir expulser de l'université. Je leur ai demandé de montrer
un profil bas. Je préfère que ce soit mes collègues qui réagissent. Eux, ne
doivent avoir peur de rien du tout.
Q : Quand est
ce que votre procès aura lieu ?
R : Ils n'ont
pas encore fixé de date. Ce qui signifie qu'ils sont encore en train de réfléchir
à la question.
Q : Est-ce
que vous avez l'intention de vous présenter au procès ?
R : Au départ
j'ai annoncé que je n'allais pas le faire, puis j'ai décidé de le faire sous
le conseil d'une ONG palestinienne. J'ai décidé d'assister au procès et de
faire appel à des avocats et aux médias locaux et internationaux. Il y a de
nombreuses organisations des droits de l'homme qui ont offert d'envoyer des
observateurs pour assister au procès. Je vais finalement choisir celle britannique
British High Teachers Association. Ils vont dépêcher une délégation pour assister
au procès.
Q : Qu'est
ce que vous avez l'intention de faire si vous êtes expulsé ?
R : Je chercherai
du boulot ! Ils n'arriveront pas à me terroriser ! Je n'ai pas peur
d'eux ! J'ai reçu de nombreuses propositions pour enseigner à l'étranger,
c'est sympa, mais je n'ai aucune intention de quitter le pays. J'ai également
reçu une offre pour travailler dans une école palestinienne à Eblin, je pourrais
choisir cette option. Je ne sais pas si l'université réussira à m'expulser,
étant donné la réaction internationale à ma convocation. Ça commence à avoir
de l'effet. Mais cette action doit se poursuivre sinon bien sûr elle n'aura
servit à rien.
Q : Pourquoi
l'université a attendu deux ans avant d'essayer de vous expulser de l'université ?
R : L'ambiance
en Israël s'est dramatiquement dégradé depuis février 2001. Avant cela, Israël
n'était pas une grande démocratie mais acceptait le jeu démocratique. Ce qui
signifie que des dissidents juifs comme moi, des radicaux juifs ou tout simplement,
des juifs qui interrogent les questions à la base du consensus sioniste étaient
tolérés même s'ils n'étaient pas aimés. Bien sûr si mes collègues d'origine
palestinienne avaient osé dire ce que je dis depuis 20 ans, ils l'auraient
payé bien cher. Mais, depuis février 2001, la majorité des israéliens :
ceux qui sont au pouvoir comme ceux qui ont conduit ce gouvernement au pouvoir,
ont décidé que le jeu démocratique les affaiblissait dans leur lutte contre
les Palestiniens et contre le monde arabe. C'est là qu'ils ont commencé à
harceler les gens comme moi, non plus exclusivement les victimes habituelles
c'est-à-dire, les Palestiniens des territoires occupés, ou la minorité d'origine
palestinienne en Israël. Ils harcèlent même des Juifs israéliens politiquement
au centre. Par exemple, Yaffa Yarkoni, une chanteuse populaire septuagénaire,
réputée depuis plus d'un demi-siècle pour ses chants de guerre, et bien, elle
a suivi les infos à la télé, elle a vu ce qui s'est passé à Jénine et elle
a exprimé sa colère. Elle a dit que cela lui rappelait ce que les nazis avaient
fait durant la deuxième guerre mondiale. Conséquence : elle n'a plus
le droit de se produire. Elle a été publiquement condamnée. Elle a des problèmes
économiques parce qu'elle ne peut plus travailler. Et je vous parle là d'une
femme du centre je ne vous parle pas de moi ! Elle a été menacée de mort.
Elle ne circule plus qu'accompagnée de ses 3 gardes du corps.
Il y a aussi Gaby
Gazit. C'est un journaliste qui dirigeait un programme d'information à la
télévision. Il penche très légèrement vers la gauche. On ne peut pas dire,
tout de même, qu'il est franchement de gauche. Disons qu'il a été critique
et ça lui a valu une expulsion de la télévision.
Il y a de plus
en plus de procédures judiciaires contre des universitaires qui ont soutenu
les soldats qui se refusent à servir dans l'armée israélienne. Voilà l'ambiance
régnante en Israël et c'est cette ambiance qui fait que ces gens qui ont toujours
voulu m'avoir ont considéré qu'il était temps maintenant, pour me faire taire.
Q : À quel
moment le courant des " nouveaux historiens " dont vous faites parti
n'a plus été toléré par le gouvernement israélien ?
R : Les nouveaux
historiens sont apparus en 1988. C'était à la base un petit groupe d'historiens
dont je faisais partie qui suite à leurs recherches ont compris que la version
officielle de l'histoire israélienne en ce qui concerne la période de 1948,
celle de la création de l'État d'Israël était fausse. Que c'était un mensonge
intentionnel. Ils ont alors essayé de réécrire ce qui s'est passé en 1948.
La vérité s'est avérée plus proche de la version palestinienne que de la version
israélienne. Au milieu des années 90, le groupe s'est étendu pour devenir
un véritable courant de pensée composé d'intellectuels, d'universitaires auteurs
d'ouvrages critiques non plus uniquement de la période de 1948 mais aussi
des années 60 et du sionisme en général. Le gouvernement israélien a accepté
un certain nombre de critiques et d'accusations de la part de penseurs connus
sous le nom de penseurs anti-sionistes. Ce mouvement englobait également des
artistes. On percevait ce regard critique dans le cinéma israélien, dans le
théâtre, dans la presse et même dans les ouvrages scolaires. Ce courant de
pensée était toléré jusqu'en 1999. En 1999, le gouvernement israélien a commencé
à considérer que ce mouvement constituait une menace pour lui. Il a alors
voulu faire taire cette pensée. Retirant toutes ses traces des ouvrages scolaires,
des programmes de télévision et de radio. Mais c'était encore supportable.
Les choses se sont accélérées après l'élection de Sharon et après la deuxième
intifada.
Q : Quel a
été l'impact des nouveaux historiens sur l'opinion publique israélienne ?
R : Je pensais
dans les années 90 que l'impact de ce courant était significatif sur l'opinion
publique israélienne. Il l'a été au niveau du milieu éducatif. Mais nous n'avons
pas eu un impact sur la pensée politique. Mais la réaction même du milieu
éducatif contre ce courant est telle que je ne pense pas qu'il y aura une
quelconque influence sur l'opinion publique dans un avenir proche. Peut être
qu'à long terme, les racines donneront des fleurs mais ça prendra des années
et je le crains, encore plus de sang versé.
Q : vous dirigez
l'Institut pour la Paix en Israël
R : Je l'ai dirigé
pendant 10 ans puis j'ai arrêté. L'institut pour la paix a été fondé
en 1993 ; c'était un institut de recherche pour la paix arabo-juif. L'idée
était de diriger les travaux de doctorants arabes et juifs intéressés par
des recherches retraçant une histoire de la paix entre Juifs et Arabes en
Palestine. Nous avons réalisé de bonnes choses. Nous avons publié des travaux
en arabe à l'intention du monde arabe et en hébreu. Nous avons fait un bon
travail pour montrer l'importance de l'histoire pour l'avenir d'une histoire
israélo-palestinienne commune. Cet institut a fermé ses portes il y a maintenant
un an et demi de cela. Je voulais que notre travail soit incisif et mes collègues
ont plutôt opté pour une coopération avec le gouvernement et je n'aime pas
coopérer avec le gouvernement.
Q : Quelles
sont, selon vous, les conditions pour que la paix soit possible en Israël ?
R : Nous avons
d'abord besoin d'une très forte pression internationale sur le gouvernement
israélien. Des sanctions doivent être prises. Un peu comme à l'exemple de
celles qui ont été prises contre l'Afrique du sud. Il n'y a pas de forces
politiques à l'intérieur d'Israël qui pourrait servir d'alternative au gouvernement
de sharon. Il n'y a plus de gauche. Disons plutôt qu'il ne reste plus grand
chose de la gauche. En tout cas elle ne constitue plus une alternative, d'où
la nécessité d'une pression internationale pour véritablement changer les
choses. L'histoire a démontré l'efficacité de telles pressions sur un pays.
Puis, Les Israéliens doivent comprendre qu'ils doivent payer pour leurs actions.
Ils doivent payer un prix économique et culturel. Nous sommes tous en train
de payer le prix du sang.
La pression internationale
est nécessaire car je crains une nouvelle Nakba très bientôt. Nombreux sont
les Israéliens qui commettraient une nouvelle Nakba sans aucune hésitation.
Spécialement si les Américains décident d'attaquer l'Irak. Ils justifieront
cela par une situation de guerre et dans une situation de guerre vous pouvez
perpétrer des choses que vous ne pouvez pas faire en temps de paix.
Puis dans un plus
long terme, les Israéliens doivent reconnaître ce qu'ils ont fait lors de
la création de l'état d'Israël en 1948. c'est la clé de la solution. Si Israël
reconnaît le nettoyage ethnique qu'il a perpétré en 1948, on pourra alors
commencer un processus de réconciliation et les Israéliens seront surpris
de constater la bonne volonté que mettront les Palestiniens dans toutes les
questions : que ce soit la question de la création d'un État palestinien
ou le nombre de réfugiés qui reviendront en Israël, sur la question de Jérusalem.
Sur toutes les questions. Si seulement les Israéliens disaient "nous avons
menti sur l'histoire de la création de l'état d'Israël. Nous avons commis
un nettoyage ethnique." Nous devons reconnaître nos crimes. Nous devons parler
de nos crimes. "Nous vous devons des compensations". C'est pourquoi, nous
devons permettre aux réfugiés de retourner chez eux. Alors seulement, nous
pourrons parler de paix. Il faut accompagner tout ça bien sûr par la fin de
l'occupation.
Q : Est-ce
que le peuple israélien est prêt pour cela ?
R : Non, il n'est
pas prêt. C'est la raison pour laquelle j'ai laissé tomber la politique pour
me consacrer à l'éducation. Cela demande un long processus d'éducation. Cela
n'arrivera pas en deux ou trois ans. Je crains qu'il ne faille encore quelques
années de sang versé, pour que le peuple israélien se rende compte que c'est
la seule solution possible pour arriver à la paix.
Q : Vous étiez
en train de parler de la Nakba à venir, mais cette Nakba touchera également
les militants israéliens pour la paix
R : Oui. Absolument.
Trois groupes seront les victimes de la prochaine Nakba : les Palestiniens
des territoires occupés, la minorité palestinienne en Israël et puis tout
Juif qui vit en Israël et qui n'adhère pas à la pensée régnante. Ces trois
groupes seront les victimes de cet horrible scénario qui j'espère n'aura pas
lieu. Mais cela dépend beaucoup de la pression internationale.
Q : Quel est
votre regard de nouvel historien et de militant pour la paix sur cette opération
rempart qui selon les Israéliens devait servir à éradiquer le supposé terrorisme
palestinien
R : Cette opération
a conduit à trois résultats très néfastes : premièrement, elle a détruit
l'infrastructure qui rendait la vie possible en Cisjordanie. Ça prendra des
années pour la reconstruire. Deuxièmement, elle a donné de la motivation à
de nombreux Palestiniens pour se transformer en bombes humaines, puis malheureusement,
elle a rendu la population israélienne encore plus récalcitrante à toute solution
pour la résolution du conflit.
Tout ce qui intéresse
ce gouvernement, c'est sa politique intérieur ; il n'a pas de vision
globale. Il est fixé sur Netanyahou. Cette opération rempart est à situer
dans le cadre de la bataille de pouvoir de ce gouvernement contre Netanyahou.
Pour le gouvernement, cette opération est une réussite dans ce sens :
il a montré qu'il utilisait la brutalité sans aucune hésitation, il espère
montrer par là qu'il a un meilleur programme pour gérer ce qu'Israël appelle
le problème palestinien.
Q : N'est-ce
pas trop simpliste de dire qu'à l'intérieur d'Israël il y a ceux qui se battent
pour la paix et ceux qui refusent la paix ? N'est-ce pas beaucoup plus
compliqué que ça ?
R : C'est un peu
plus compliqué que ça. La société israélienne a été endoctrinée durant 50 ans.
D'une manière assez complexe, dans la mesure où ce n'était pas une dictature.
C'est pour cela que la majorité des Israéliens pensent que ce qu'ils font
est bien. Ce n'est pas une dictature où les gens ont peur de parler autrement.
Ils veulent parler comme ça. C'est pour cela que je parle d'éducation et de
pression internationale. C'est comme les Blancs durant l'apartheid en Afrique
du sud. Les Blancs voulaient l'apartheid. On ne le leur a pas imposé. Ça les
arrangeait. Ils en ont profité. Et il a fallu une pression internationale
pour mettre fin à l'apartheid et bien sûr la lutte de l'ANC pour la libération.
Q : Quel est
le pourcentage de ceux qui pensent comme vous en Israël ?
R : Ils ne sont
pas nombreux (rires). Ils ne représentent qu'une goutte d'eau dans un océan
mais une goutte qui a beaucoup plus de résonance qu'auparavant.