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Viol de Théo par les flics - Les émeutes vues depuis la suisse

vendredi 3 mai 2019, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 14 février 2017).

Police et banlieue : l’explosive fracture française

https://www.letemps.ch/monde/2017/0…

Richard Werly
Publié mardi 7 février 2017 à 20:54.

Cinq jours après la violente interpellation d’un jeune d’Aulnay-sous-Bois par la police, le fossé entre les forces de l’ordre et les populations des quartiers difficiles est à son niveau d’alerte

Deux images pour deux réalités. Alors que le président François Hollande rendait visite mardi au jeune Théo hospitalisé après son interpellation violente par quatre policiers la semaine dernière à Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis, au nord de Paris), deux scènes parallèles illustraient le fossé qui sépare, dans l’Hexagone, les forces de l’ordre et les jeunes des banlieues.

D’un côté, le début de l’examen à l’Assemblée nationale de la nouvelle loi sur la sécurité publique destinée à élargir les règles de légitime défense pour les policiers. De l’autre, l’appel au calme lancé par les deux sœurs du jeune homme au visage encore tuméfié, qui affirme avoir été victime d’une tentative de sodomie à la matraque. Une France désireuse d’être mieux protégée face à une autre France, épuisée d’être sans cesse maltraitée. Ceci, alors que l’état d’urgence décrété dans la foulée des attentats terroristes du 13 novembre 2015 demeure en vigueur et donne à la police une latitude étendue d’intervention.

Policiers inculpés

Dans le cas d’Aulnay sous Bois, le déroulement des faits survenus dans la soirée du jeudi 2 février doit encore être reconstitué. La version diffusée par les médias est celle du jeune homme de 22 ans, interpellé lors d’un contrôle d’identité survenu vers 17 heures dans la cité de la Rose des vents – ou Cité des 3000 – proche de l’aéroport Charles de Gaulle. Selon celui-ci, quatre policiers de la « brigade spécialisée de terrain » d’Aulnay l’auraient plaqué contre le mur, et immédiatement violenté, avant de l’emmener menotté au commissariat. Les quatre hommes ont été mis en examen dimanche pour « violences volontaires en réunion et viol ». Preuve que leur dossier est accablant : le maire de droite de la ville Bruno Beschizza, ancien policier, a publiquement dénoncé leur comportement.

Chaque nuit, depuis, est une épreuve dans cette ville de banlieue aux nombreux quartiers gangrenés par les trafics de stupéfiants. Après des émeutes sporadiques et des voitures brûlées ce week-end, la Cité des 3000 s’est à nouveau enflammée dans la nuit de lundi à mardi, entraînant près de trente arrestations. Une épreuve qui, selon les syndicats policiers, doit être mise en rapport avec d’autres faits dramatiques survenus le 8 octobre 2016 à la lisière du quartier difficile de la Grande-Borne, au sud de Paris. Ce jour-là, une voiture de police stationnée avait été la cible d’une embuscade au cocktail Molotov. Deux policiers avaient été gravement brûlés et une quinzaine d’interpellations de jeunes, dont plusieurs mineurs, ont eu lieu mi janvier. Les forces de l’ordre évoquent aussi, pour leur défense, l’attaque d’une de leurs voitures à Paris, près de la place de la République, le 18 mai 2016. Les images du véhicule incendié et des policiers assiégés avaient alors fait le tour du monde.

« Les flics français sont sur les dents »

« Derrière l’émotion légitime soulevée par le tabassage en règle du jeune Théo, il faut bien comprendre que les flics français sont sur les dents. Ils n’ont jamais été autant soutenus par le pouvoir politique compte tenu des impératifs de sécurité. Mais ils restent très démunis face à la prolifération de la violence sur le terrain. D’où la propension à la bavure », explique une ancienne responsable d’Amnesty International, auteure en 2009 du rapport France : des policiers au-dessus des lois.

L’an dernier, une affaire a particulièrement illustré ce cercle vicieux : la mort, dans des circonstances troubles, d’un jeune de 26 ans, Adama Traoré, interpellé à Beaumont-sur-Oise. Les frères du défunt ont ensuite été poursuivis en justice. L’aîné, Bagui, reconnu coupable de violences contre les policiers, a été condamné à 8 mois de prison. « Il y a dans certaines banlieues un cocktail explosif similaire à ce qui se passe aux Etats-Unis. Drogue, colère de la population, exaspération des forces de sécurité », avancent dans leur passionnant livre d’enquête Une ville sous emprise (Ed. du Rocher), les journalistes Claire Guédon et Nathalie Perrier, à propos de Saint-Ouen, commune mitoyenne de Paris dévorée par le trafic de cannabis.

Nouveau projet de loi

Les incidents à répétition ont conduit le gouvernement à préparer un nouveau projet de loi sécuritaire, destiné à aligner les conditions d’utilisation des armes à feu des policiers sur celles – plus flexibles – des gendarmes, même si le code pénal français continue de définir la légitime défense comme un acte « strictement nécessaire et proportionné » à la menace. C’est ce texte, déjà adopté au Sénat, que les députés examinent ces jours-ci. En espérant que l’interpellation d’Aulnay n’aboutira pas, en pleine présidentielle, à un embrasement comme celui qui, en octobre-novembre 2005, avait mis le feu aux banlieues à la suite de la mort de deux adolescents dans un poste électrique où ils s’étaient réfugiés. Pour échapper aux policiers.


A Aulnay, les braises du silence et de la peur

https://www.letemps.ch/monde/2017/0…

Richard Werly
Publié jeudi 9 février 2017 à 19:51

Depuis une semaine, la cité des 3000 d’Aulnay sous Bois, au nord de Paris, est sous haute tension, après des accusations de bavure policière. Chaque nuit, le mur de l’incompréhension retombe entre habitants et policiers

Moussa Sissoko signale l’entrée des barres d’immeubles de la Rose des vents. En grand format, accroché sur la façade du centre commercial de ce faubourg surnommé la « cité des 3000 », le portrait du footballeur noir de Tottenham, originaire du quartier, toise les fourgons de gendarmerie stationnés en contrebas. Il est près de minuit, sur la « dalle » de ce quartier populaire d’Aulnay-sous-Bois où un jeune homme de 22 ans, Théo, a été grièvement blessé le 2 février, lors de son interpellation par quatre policiers des « brigades spécialisées de terrain ».

Depuis, des grappes de jeunes caillassent presque chaque soir les commandos de gendarmes mobiles qui quadrillent, casqués et bottés, les rues proches de l’arrêt de bus Bougainville. Les vitres de celui-ci gisent à terre, en mille morceaux. L’appel « #Justice pour Théo » est tagué sur les bâtiments. Le silence et la peur cohabitent.

« Cette cité est une prison »

Quelques rues plus loin, dans l’obscurité trouée par les lampadaires, un périmètre sécurisé par des barrières ornées du logo « Grand Paris Express » signale le futur chantier de la ligne 16 du métro. En 2024, celle-ci reliera cette partie d’Aulnay au cœur de la capitale. Encore au moins sept ans à faire, pour rejoindre l’actuelle ligne de RER, au moins vingt minutes de bus. Flagrante ségrégation des transports en commun.

Rachid est assis face à la devanture fermée du Grand Café de Paris, l’unique bistrot, fermé le soir. La silhouette de la mosquée d’Aulnay se découpe au loin, de l’autre côté du grand parking désert sur lequel une voiture de police est stationnée, en alerte. Une carcasse brûlée gît à côté. Rachid tient dans une main son téléphone, branché sur la radio. Cinq jeunes de la cité et des communes voisines de Sevran et du Blanc Mesnil viennent d’être jugés en comparution immédiate pour avoir pris des policiers « en embuscade ». Six mois de prison ferme : « Non seulement on n’a rien à faire ici le soir, lâche le jeune homme, capuche sur les oreilles, rejoint par deux copains d’une vingtaine d’années. Mais, en plus, ils nous surveillent sur leurs écrans comme ils le font pour les détenus. Cette cité est une prison. »

« On ne sait plus ni se parler, ni se côtoyer »

L’affaire Théo est devenue, en une semaine, une affaire d’Etat en France. Les quatre policiers ont été suspendus après le visionnage de ces mêmes caméras. L’un d’entre eux, âgé de 27 ans, a été mis en examen pour viol à la matraque. Les faits semblent accablants, corroborés par le maire d’Aulnay, lui-même ancien membre des forces de l’ordre. Le président François Hollande s’est déplacé mardi à l’hôpital pour saluer Théo, dont les deux sœurs ont rapidement appelé au calme. Le candidat Emmanuel Macron s’est fendu d’une tribune pour rappeler leurs « devoirs » aux policiers, alors que l’état d’urgence est toujours en vigueur dans l’Hexagone depuis les attentats de novembre 2015. Le spectre des émeutes des banlieues de 2005 a resurgi.

La cité des 3000 n’est pourtant qu’un abcès parmi tant d’autres. A Aulnay, dont la majorité du territoire est constitué de zones pavillonnaires, la Rose des vents se vit comme un ghetto. La population y est majoritairement immigrée. Les jeunes d’origine africaine ou maghrébine campent dans les rues désertes jusqu’à point d’heure. Les trottoirs proprets qui jouxtent le collège Victor Hugo, ou la salle de concert Le Cap, sont la vitrine présentable d’une réalité urbaine problématique. Le trafic de drogue pullule. A l’autre bout d’Aulnay, devant le commissariat où Théo s’est retrouvé menotté, puis tabassé, un policier s’énerve dans le froid piquant : « La cité est un monde replié sur soi. On a peur quand on y entre et eux ont peur de nous. Avec les jeunes, on ne sait plus ni se parler, ni se côtoyer. »

Cité vide le soir venu

Aulnay-sous-Bois ne frappe pas par sa misère. Les infrastructures sont en bon état. L’argent public a rénové les barres d’immeubles et les abords du centre hospitalier régional voisin. De nuit, cette partie-là de la grande couronne parisienne surprend surtout par le vide. Pas un café. Pas un Mac Do, pas une épicerie ouverte. Pas une fille seule. Un no man’s land où les banlieusards, en hiver, rasent les murs aux heures tardives. Juste le vent qui s’engouffre. Des grappes de jeunes accrochés à leurs voitures. Des cris de « chouffeurs » (les guetteurs des trafiquants de stupéfiants) qui déchirent le silence. Des monticules de pavés déterrés, prêts à l’emploi.

Jacques, 72 ans, promène son chien à côté de l’incinérateur de déchets. Dans son allée du Sagittaire, les pavillons pareils au sien sont calmes. Jacques aussi désigne les caméras de surveillance. « Elles dissuadent les policiers de venir jusqu’ici. Ils ne débarquent qu’en commandos. » La police de proximité a fait long feu. « Les flics viennent presque tous de la province. Ils ne comprennent pas ce qui se passe ici. » Crépitement de talkie-walkie. Les CRS qui bouclent le quartier s’agitent. Trois d’entre eux s’engouffrent dans la galerie commerçante aux rideaux de fer verrouillés. L’incendie d’Aulnay est aujourd’hui maîtrisé. Mais la présidentielle fait rougeoyer les braises.


Face au risque d’explosion des banlieues, le compte à rebours politique français

https://www.letemps.ch/monde/2017/0…

Richard Werly
Publié lundi 13 février 2017 à 10:16

Des émeutes ont de nouveau secoué plusieurs villes de banlieue parisienne dans la nuit de lundi. La polémique déclenchée par l’interpellation du jeune Théo à Aulnay-sous-Bois le 2 février peut-elle aboutir à des flambées de violence à grande échelle ?

Nouvelles nuits de violence en banlieue parisienne. Ce mardi, la crainte de nouvelles émeutes et de nouveaux affrontements avec la police apparaît à nouveau sérieuse en France, à dix semaines de l’élection présidentielle. Le tribunal de Bobigny a jugé lundi plusieurs jeunes interpellés en comparution immédiate. Des incidents graves ont aussi éclaté en province. Le président Français François Hollande se rend ce mardi matin à Aubervilliers, dans le département sous tension de Seine-Saint-Denis, pour parler emploi. Incidents graves, mais isolés, ou risque de déflagration sociale massive ? Les explications du « Temps ».

■ Les scènes de violence sont-elles particulièrement graves ?

Poubelles et voitures brûlées. Affrontements avec les policiers. Les banlieues françaises sont toujours sous tension, c’est une évidence. Quinze personnes ont à nouveau été interpellées dans la nuit de lundi à mardi en Seine-Saint-Denis, après cinquante autres arrestations survenues durant le week-end. L’affaire qui a mis le feu est l’interpellation violente du jeune Théo à Aulnay-sous-Bois le 2 février dernier. Des événements sont survenus Argenteuil (Val d’Oise), aux Ulis (Essonne) mais aussi à Dijon (Cote d’Or). Les relations avec la police sont au cœur de cet embrasement.

Certaines villes sont malheureusement coutumières d’incidents violents. Bobigny, 50 000 habitants, où se trouvent la préfecture et le tribunal d’instance du « 93 », connaît régulièrement des phases d’affrontements entre la police et les jeunes. Trois policiers y ont ainsi comparu devant les juges en novembre 2016 pour avoir mutilé et blessé des jeunes au Flash-Ball en 2009. Argenteuil, 105 000 habitants, s’est retrouvé sur le devant de la scène en octobre 2005, après les déclarations du candidat Nicolas Sarkozy venu promettre de débarrasser la ville des « racailles » au « Kärcher ».

L’extrême violence des incidents survenus ce week-end – qui ont vu une voiture de la radio RTL être incendiée à Bobigny et une petite fille être sauvée des flammes par un adolescent alors qu’elle se trouvait bloquée dans un autre véhicule – n’est toutefois pas le fait des manifestants venus se rassembler pour réclamer justice pour le jeune Théo interpellé le 2 février et hospitalisé dans la foulée après avoir été semble-t-il victime d’un viol à la matraque (quatre policiers ont été mis en examen, dont un pour viol). Dans les deux cas, des groupes de casseurs identifiés ont commis les dégradations. Les deux sœurs du jeune Théo avaient, à Aulnay-sous-Bois, lancé un appel au calme la semaine dernière. Il a grosso modo été respecté dans la cité de la Rose-des-Vents – cité des 3000 – bouclée par les gendarmes mobiles depuis l’incident qui a mis le feu aux poudres.

Le rapport avec la police est le point le plus problématique. L’origine des policiers, souvent venus de province, ne favorise pas l’échange avec les jeunes des cités. Les caméras de surveillance sont en nombre insuffisant et constituent souvent des abcès de fixation pour les trafiquants de stupéfiants, qui les endommagent. Le port de caméras mobiles par les forces de l’ordre est de plus en plus demandé.

■ L’affaire Théo peut-elle empoisonner la campagne pour l’élection présidentielle ?

C’est déjà le cas. Ce week-end, la candidate du Front national Marine Le Pen a de nouveau dénoncé la situation dans les quartiers. Elle avait refusé de condamner les violences policières, malgré la mise en examen rapide des auteurs de l’interpellation de Théo et les prises de position claires en faveur du jeune garçon du maire conservateur d’Aulnay-sous-Bois Bruno Beschizza, lui-même ancien policier. La visite du président François Hollande au jeune Théo à l’hôpital, le mardi 7 février, puis celle qu’il effectue ce mardi à Aubervilliers font également monter la pression politique, entraînant des communiqués de plusieurs candidats dont l’ancien ministre de l’Economie Emmanuel Macron, qui a insisté sur les devoirs des forces de l’ordre.

Il faut se souvenir que l’état d’urgence reste en vigueur dans l’Hexagone, où il a été décrété dans la nuit des attentats parisiens du 13 novembre 2015. Or ce dernier donne une latitude d’action beaucoup plus grande aux forces de sécurité pour interpeller des suspects, perquisitionner, et étendre leurs gardes à vue. Important également : la mobilisation des policiers qui, au fil de plusieurs manifestations, n’ont cessé de dénoncer à la fin 2016 leurs conditions de travail.

Des manifestations nocturnes de policiers, durant leurs heures de travail, avaient eu lieu dans plusieurs grandes villes de France dont Paris. Résultat : des primes supplémentaires leur ont été accordées, et le budget dévolu aux forces de l’ordre pour 2017 a été augmenté d’environ 800 millions d’euros (sur 19 milliards). Autre concession : le dépôt d’un projet de loi sur la sécurité publique, actuellement débattu à l’Assemblée nationale, destiné à rendre plus souples les règles de légitime défense pour les policiers. Au-delà du cas de Théo, la question du rapport entre la police et la population dans les quartiers sensibles se retrouve donc bien au cœur de la campagne électorale en cours. Ce qui attise la colère des deux côtés.

■ Peut-on comparer l’affaire Théo à la mort de Zyed et Bouna en octobre 2005 ?

C’est la grande crainte des policiers français qui, dans les cités difficiles des banlieues, redoutent l’embrasement. Il est néanmoins trop tôt pour le dire, d’autant que dans le cas de Théo, l’existence d’images de surveillance vidéo a très vite permis à la justice de mettre en examen les quatre policiers, même si les avocats de ces derniers tentent, depuis lors, d’infirmer la version du jeune garçon de 22 ans interpellé, en contestant le caractère intentionnel du viol.

Le 27 octobre 2005, deux jeunes de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) Zyed et Bouna, âgés de 15 et 17 ans, avaient trouvé la mort en se réfugiant dans un poste de transformateur électrique, alors qu’ils fuyaient une descente de police. Leur décès avait déclenché des émeutes de grande ampleur, conduisant le gouvernement à décréter (déjà) l’état d’urgence. C’est en réponse à cette situation, pour prendre le pouls des banlieues françaises, que le magazine « L’Hebdo » récemment disparu avait lancé le « Bondy Blog », en déplaçant une partie de sa rédaction dans la ville de Bondy, voisine de Bobigny. Le « Bondy Blog », qui existe encore en partenariat avec « Libération », est d’ailleurs aux avant-postes de la couverture médiatique des incidents actuels.

La comparaison avec les événements de 2005 reste pour l’heure exagérée, malgré les violences constatées ces derniers jours et l’inquiétude des forces de l’ordre. Du 22 octobre 2005 à la fin novembre, 9000 véhicules avaient été incendiés à travers la France, conduisant à trois mille interpellations. 56 policiers avaient été blessés.

La difficile question des banlieues est néanmoins loin, très loin d’être en voie d’apaisement en France où les filières salafistes ont en plus pris le dessus dans un certain nombre de quartiers, entraînant l’apparition d’une mouvance djihadiste violente peu présente il y a onze ans, lors des émeutes de 2005. Le test ces jours-ci viendra de l’apparition ou non d’affrontements dans d’autres villes que celles de la périphérie parisienne. Traditionnellement, les banlieues de Lyon, Amiens, Grenoble ou Montpellier sont souvent très inflammables. Le sentiment de précarité et la colère des jeunes dans ces cités souvent enclavées et difficile d’accès n’ont pas diminué depuis, et le nombre de demandeurs d’emploi a continué d’augmenter. Le taux de chômage dans ces quartiers se situe souvent entre 25% et 35% pour les moins de trente ans.


Au tribunal de Bobigny, des émeutiers à visage découvert

https://www.letemps.ch/monde/2017/0…

Richard Werly, Bobigny
Publié lundi 13 février 2017 à 20:56.

Plus d’une soixantaine d’arrestations ont eu lieu ces derniers jours dans les banlieues parisiennes en proie à des éruptions de violence. Lundi, plusieurs jeunes interpellés comparaissaient devant les juges

« Tir de mortier ». Pour les gendarmes mobiles déployés dans la banlieue nord de Paris en proie à la violence, l’expression désigne l’utilisation de feux d’artifice, ou de bombes fumigènes, transformés en dangereux projectiles par les grappes de jeunes qu’ils pourchassent nuit après nuit. Des tirs destinés à blesser, à fracasser les vitrines, à semer le chaos ou à mettre le feu aux véhicules.

A Bobigny, samedi, une dizaine de ces tirs ont été recensés. Bis repetita à Argenteuil dimanche. Trois prévenus – « Messieurs » Vuu, Houk et Seignos pour la justice – sont là pour en répondre, en comparution immédiate au Tribunal de Bobigny. L’accès de la salle des Assises n°2 est gardé à l’extérieur par trois policiers antiémeute casqués, bottés, boucliers en main. Sur les bancs de bois clair réservés au public ? Une vingtaine de copains des trois hommes. Lendemain ordinaire d’émeutes, de voitures incendiées et de confrontation avec les policiers.

Un fossé béant

Deux des suspects appréhendés – Vuu et Houk – sont d’origine asiatique. Le troisième, Seignos, est issu d’une famille portugo-maghrébine. Tous ont entre 20 et 25 ans, familiers de la cité des 3000, à Aulnay-sous-Bois, où tout a démarré après la violente interpellation du jeune Théo, le 2 février. La procureure résume les faits : les trois hommes, circulant à bord d’une Renault Clio, ont pris plusieurs fois les forces de l’ordre pour cible. Deux grenades fumigènes militaires ont été trouvées à bord. Arrêtés au cours du week-end, ils nient les faits.

Leur version dit la confusion, et le fossé béant qui sépare ces cités des banlieues plus « normales ». Vuu, dont le casier judiciaire est vierge, affirme être gardien d’immeuble payé 1700 euros par mois. Il passait par là, dit-il pour se rendre en pleine nuit à un mariage après avoir vu une « annonce » sur la messagerie Snapchat. Seignos, barbe noire fournie et élocution soignée, jure qu’il « voulait calmer les manifestants ». Houk, l’autre asiatique, est presque surpris d’apprendre qu’il a vendu les fumigènes le soir des émeutes. Ces deux-là ont eu, en 2005 et 2007, maille à partir avec les juges. Vol, violence avec arme, trafic de cannabis. La présidente du tribunal, patiente, leur fait répéter « qu’ils ne savaient pas ce qui se passait dans la cité » ce soir-là. Leurs deux avocats commis d’office soupirent.

« Avec les flics, faut tout nier »

Le trio jure de sa bonne foi. Vuu s’empêtre dans son récit. « Ils ne savent pas parler. Avec les flics, faut tout nier », enrage dans le couloir Rachid, qui se dit « travailleur social ». Face aux trois femmes juges et à la procureure, l’assistance est presqu’entièrement masculine. Surtout des jeunes types à fine barbe et aux cheveux très courts, plus quelques retraités. Les PV des policiers sont lus lentement. Poubelles brûlées, communications téléphoniques avec d’autres groupes d’émeutiers. Le récit minuté de l’embuscade prend forme.

La présidente sait qu’elle doit juger vite. Mais elle refuse d’accélérer. Ses questions sont précises. Chacun raconte sa vie. Tous vivent chez leurs parents. Deux disent subvenir aux besoins familiaux. Un seul, Vuu, a un emploi réel. La vie de la cité, ses codes, les mille façons d’éviter les caméras de surveillance se révèlent au fil de leurs réponses. « On nous reproche juste d’être là. Oui, nous étions là. Tout comme les policiers. Sauf qu’eux ne sont jamais sanctionnés s’ils nous tabassent », risque Houk, l’homme aux fumigènes.

La procureure le fait taire. Elle rejette « les soi-disant coïncidences », dénonce « l’envie de casser du flic ». Il est 17h15 au tribunal de Bobigny. Dans le Palais de justice, le risque de voir les banlieues françaises s’enflammer façon 2005 est confirmé par tous : magistrats, avocats, flics et agents sécurité. En salle 2, la procureure promet d’« être l’avocate de la société et des policiers ». Elle réfute le terme de « rafles » utilisé par les défenseurs pour contester l’arrestation de leurs clients. Neuf mois de prison dont cinq avec sursis requis contre Vuu. Cinq mois ferme pour les deux autres passagers récidivistes de la Clio. « Que dire de plus ? » questionne la présidente. Le silence est éloquent.

Tout faire pout éviter l’embrasement des banlieues

Marine Le Pen s’est empressée, lundi, de commenter les violences urbaines survenues notamment à Argenteuil, Bobigny et Les Ulis. En renouvelant « son soutien sans faille aux forces de l’ordre confrontées à une extrême violence dans l’indifférence totale du gouvernement », la candidate d’extrême droite à l’élection présidentielle a clairement pris parti, suite à l’interpellation violente du jeune Théo à Aulnay-sous-Bois. Toutes les autorités concernées, jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, ont au contraire affiché une grande prudence dans leur défense des policiers concernés, tant les images de vidéosurveillance semblent confirmer la bavure.

La préoccupation du gouvernement français, en pleine campagne électorale, est surtout d’éviter que les banlieues s’embrasent comme à la fin 2005. D’où le nombre important d’interpellations, facilitées par l’état d’urgence en vigueur depuis le 13 novembre 2015, et la multiplication des comparutions immédiates devant les juges. Inquiet d’une possible reprise des manifestations policières, le premier ministre Bernard Cazeneuve (auparavant à l’Intérieur) a de nouveau promis l’installation accrue de caméras de surveillance dans les cités. (R. W.)

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