4 avril 1998
http://mai68.org/tracts/Suffrageuniversel/LESUFFRAGEUNIVERSEL.htm
http://lacarmagnole.free.fr/tracts/Suffrageuniversel/LESUFFRAGEUNIVERSEL.htm
http://vlr.chez.com/tracts/Suffrageuniversel/LESUFFRAGEUNIVERSEL.htm
"Le suffrage universel ne me fait pas peur, les gens voteront comme on leur dira" disait le royaliste Alexis de Tocqueville.
"La discussion fut ajournée, mais le suffrage universel immédiatement proclamé. Il fallait en effet calmer des insurgés menaçants et contrebalancer des mesures d’austérité." Cette citation de Monsieur le Professeur de science politique Alain Garrigou, tirée de son article au "Monde diplomatique" sur le suffrage universel, pourrait résumer la réponse que je fais ici à ce même article.
La société est un supermarché, et le "Président de la République" est un employé du service des réclamations : il est là pour prendre les coups à la place du capital. Les vrais chefs ne sont jamais élus. Les patrons de la France sont les patrons. D’ailleurs, ce sont eux qui, en finançant les campagnes électorales dans un sens plutôt que dans l’autre, choisissent le président du service des réclamations. Nous n’avons même pas "la liberté de choisir l’étendard de notre future désillusion" (Higelin).
Le suffrage universel n’est pas une conquête de 1848, il est l’arme qu’utilisa le pouvoir pour vaincre la tentative révolutionnaire de cette époque. Le pouvoir savait que la révolution n’était présente que dans les grandes villes. Il institua le suffrage universel pour écraser les fusils des révolutionnaires parisiens sous les votes du reste de la France. Dans d’autres pays de l’Europe, la révolution de 1848 ne fut pas suffisamment puissante pour que le pouvoir ait besoin du suffrage universel pour en venir à bout.
Malheur au vaincu, il perdra même la mémoire. La révolution de 1848 fut vaincue à tel point que le pouvoir put lui faire croire qu’elle avait gagné et que l’arme de sa défaite, le suffrage universel, était sa principale conquête.
Le dessin ci-dessus, illustrant l’article auquel je suis en train de répondre, pourrait tout aussi bien illustrer mon texte, mais ironiquement, non pour montrer la "conquête" de 1848, mais pour expliquer comment la bourgeoisie a désarmé la révolution (sur ce dessin d’époque, on voit un "homme" remplaçant son fusil par un bulletin de vote).
Aujourd’hui, le suffrage universel a toujours le même but (et tous les prétextes sont bons pour désarmer les "citoyens"). Ainsi, pour vaincre Mai 68, de Gaulle, dans son discours du 30 mai, proposa : « Soit la guerre civile tout de suite, soit les élections dans un mois ». Pendant ce temps, des automitrailleuses circulaient ostensiblement dans Paris. Et les manifestants qui criaient "élections piège à cons ! Une seule solution, la révolution !" n’y purent rien : ils n’étaient pas armés !
C’est un fait : le peuple "s’exprime" par le suffrage universel. Mais, comme le disait Karl Marx1 : « Quand j’entends parler de peuple, je me demande ce qui se trame contre le prolétariat ». En effet, le peuple c’est la nation entière, l’union sacrée entre les bourgeois et les prolétaires d’un même pays, la collaboration de classe ; le prolétariat, lui, est international et pratique la lutte des classes. Actuellement, le suffrage universel est partout et la lutte des classes nulle part.
Monsieur le Professeur de science politique nous dit : « Le suffrage universel … une institution qui n’enregistrait pas seulement les rapports de forces, mais donnait à des hommes, puis à des femmes, une dignité que leur condition sociale leur déniait ». Je dirais tout d’abord que la dignité, c’est ce qu’on donne au vaincu pour qu’il accepte la défaite (dans la dignité). Mais je dirais aussi que le suffrage universel n’enregistre en rien les rapports de forces. Il enregistre seulement des nombres, ce qui n’a rien d’étonnant dans une "société" où la quantité a détruit la qualité. Pour enregistrer des rapports de forces, il ne faudrait pas que les questions posées soient : « Qui est d’accord avec ceci ? Qui est contre ? », mais comme cela se faisait à Athènes je crois : « Qui est prêt à se battre pour ceci ? Qui est prêt à se battre contre ? » Et on verrait que non seulement les nombres seraient plus petits, mais que dans bien des cas le résultat serait l’inverse de celui obtenu avec l’autre type de question2. De plus, on nous demande rarement notre avis sur les choses à faire. On nous fait voter pour des gens qui, une fois élus, nous rappellent que les promesses électorales ne sont rien, que, comme le disait Pasqua : « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient ». Mitterrand nous avait promis qu’il était socialiste alors qu’il était pétainiste…
Par exemple, on ne nous a pas demandé notre avis sur la nucléarisation de la France. Mais, comme le disait aussi Pasqua : « La démocratie s’arrête où commence la raison d’État. » L’État est forcément prioritaire, puisqu’il n’est que "Les bandes armées du pouvoir" (Karl Marx). On ne nous demandera pas notre avis non plus sur la future transgénisation du pays. Puisqu’on se contente de commencer doucement : « Seulement le maïs… »
Et, quand on nous demande notre avis sur une chose importante, si on ne vote pas comme il faut, on nous refait voter, comme au Danemark à propos de Maastricht. En France, pour être sûr qu’on vote comme il faut, les médias3 disaient tous "Vive Maastricht !" et l’européiste Mitterrand, à l’époque Président de la République Française, a trouvé le moyen de se faire plaindre en choisissant de se faire opérer une nouvelle fois de son cancer de la prostate pile une semaine avant le référendum ! (alors que le tout un chacun n’est opéré qu’une seule fois d’un tel cancer). De toute façon, la construction de l’Europe a été imposée par les "Américains" avec le plan Marshall en 1947, en contre partie de leur "aide" financière. Le suffrage universel est ridicule4. "Le capitalisme, c’est la loi du plus salaud", que peut donc le suffrage universel contre lui ? Si voter pouvait changer quelque chose, ce serait interdit !
La bourgeoisie préfère la lutte électorale à la lutte des classes. Et le pseudo-combat entre droite politicienne et gauche politicienne n’est que le spectacle (au sens de Debord) de la lutte des classes. C’est-à-dire que, par un subterfuge bien mené, le pouvoir prestidigitateur a pu subtiliser la lutte des classes et la remplacer par le pseudo-combat électoral droite-gauche sans que personne ne s’en rende compte. Les vaincus ferment les yeux : il est plus facile de ramper vers une urne que de se lever comme le Che, kalachnikov à la main. Oui, le suffrage universel est bien un calmant5, destiné, comme chez Staline, à enfermer la contestation dans une camisole chimique. Si la grève et la critique sont des armes fondamentales du prolétariat, on peut quand même dire avec Karl Marx : « L’arme de la critique ne remplacera jamais la critique par les armes. »
Fait en commun le 4 avril 98 par le comité : « Votez dur, votez mou, mais votez dans le trou ! »
et par le comité : « Aux armes, citoyens ! »
Notes :
1) On n’a jamais autant lu Karl Marx dans les pays de l’est de l’Europe que depuis le spectacle de l’effondrement d’un communisme qui n’y a jamais existé.
2) Ceci dit, je n’écris pas ces dernières lignes pour inciter au changement du type des questions mais seulement pour la démonstration.
3) " Les journalistes sont au service de ceux qui les paient ", comme dirait, je suppose, Serge Halimi.
4) Si on avait encore quelques doutes à ce sujet, les articles du Monde Diplomatique sur l’A.M.I. se chargeraient de nous les enlever.
5) Comme vous le dites, Monsieur le Professeur de science politique, dans les premières phrases où je vous cite.
« Ça c’est pour l’ennemi du dehors, pour le dedans, voici comme l’on combat loyalement les adversaires… », L’urne et le fusil, gravure de Louis Marie Bosredon, avril 1848
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