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Le double jeu des Israéliens en Ukraine

jeudi 28 avril 2022, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 28 avril 2022).

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28 avril 2022

Assawra

La guerre révèle le paradoxe des intérêts israéliens avec Kiev et Moscou à la fois. Tandis que l’Etat hébreu soigne ses relations avec le Kremlin, Kiev reçoit le soutien moral, voire militaire, de nombreux citoyens israéliens

« Nous remercions chaleureusement la nation et le gouvernement d’Israël qui nous aident à combattre les Russes dans cette guerre difficile. » Ces paroles mâtinées d’un fort accent hébreu ont fait le buzz dimanche dans une vidéo sur Twitter, signe supplémentaire de la présence de combattants israéliens en Ukraine. Impossible d’avoir des chiffres détaillant l’ampleur réelle de cet engagement. Toujours est-il que l’ambassade d’Ukraine en Israël recrute des volontaires et que l’Etat hébreu figure sur la liste du site web de la Légion internationale de défense territoriale de l’Ukraine, avec les informations pratiques facilitant l’enrôlement.

S’il arrive d’entendre de l’hébreu sur les champs de bataille du Donbass, c’est d’abord en raison des liens étroits entre Israël et l’Europe de l’Est. Les juifs issus de l’ex-URSS ont émigré massivement en Israël lorsque l’étau s’est desserré. Plus de 1,5 million d’Israéliens, environ 15% de la population, parlent russe à la maison.

Ensuite, Israël est un des très rares pays du monde à autoriser ses citoyens à se battre dans un autre pays dont ils détiendraient le passeport. De fait, de nombreuses recrues de Tsahal sont en effet des juifs ayant une expérience de combat dans un pays tiers avant leur arrivée en « Eretz », comme on nomme Israël dans le jargon sioniste.

A cela s’ajoute un savoir-faire militaire très développé dans ce pays où le service, obligatoire, est d’une durée de deux ans et demi pour les femmes et de trois ans pour les hommes. Au point que Tsahal a généré un système économique de biens et de services profitable, bien au-delà des frontières d’Israël. De nombreuses entreprises israéliennes de défense proposent leurs services à travers le monde. S’il semble, pour l’instant, que les Israéliens ayant rejoint l’Ukraine le fassent de manière volontaire, la présence d’entreprises privées n’est pas exclue. On les voit notamment proposer des services d’ « extraction de personnes » . Moyennant finance, des ex-commandos s’engagent à sortir des personnes d’Ukraine, où que ce soit.

Mais les Israéliens actifs dans le business de la guerre n’ont pas attendu 2022 pour venir à Kiev. « Nous avons vendu discrètement des armes dans ce pays pendant des années », témoigne Itay Mack, un avocat spécialiste de la lutte contre l’exportation de ce genre de biens et services par Israël. Des armes israéliennes, comme la plateforme anti-blindage Matador, seraient dans les mains du bataillon Azov, réputé d’extrême droite. Et les soldats ukrainiens utilisent notamment des fusils israéliens Tavor, produits par l’entreprise RPC Fort.

De son côté, l’Etat hébreu refuse de ne s’engager qu’en faveur de Kiev, même si le président ukrainien Volodymyr Zelensky est un juif laïc dont certains proches vivent entre Haïfa et Ashdod. Les militaires israéliens contactés pour cet article préfèrent rester très discrets. « Oui, j’ai des copains qui se battent en Ukraine, mais ne comptez pas sur moi pour en parler. Nous, les Israéliens, nous savons où est notre place : coincée entre la Russie et les Etats-Unis. Ne comptez pas sur moi pour les fâcher », glisse un interlocuteur, avant de lâcher : « A votre avis, qui contrôle la Syrie ? »

C’est Moscou. Et depuis 2015, l’Etat hébreu, qui possède une frontière commune avec le régime de Bachar al-Assad, est soumis à un mécanisme dit de « déconfliction », qui l’oblige à prévenir les Russes avant d’y frapper des cibles iraniennes. La Russie joue donc un rôle déterminant dans la sécurité de l’Etat hébreu qui, en onze ans de guerre en Syrie, y a frappé des centaines de fois les positions du Hezbollah et d’autres entités qui lui sont hostiles.

Par ailleurs, Israël a besoin du soutien de Moscou pour faire barrage aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies qui lui seraient défavorables, sans compter le rôle joué par les Russes dans l’accord sur le nucléaire iranien. A cela s’ajoutent des intérêts croisés et multiples en Afrique, convoitée par la Chine et la Russie. « Les Israéliens se sont rapprochés de Moscou en soutenant militairement ou stratégiquement des régimes favorisés par le Kremlin dans des pays comme la Libye ou le Soudan, lequel a ainsi cessé en 2015 de transférer de l’argent à Gaza et de soutenir le terrorisme. Un résultat qui a un prix, puisque nous aidons un génocidaire : le numéro deux de la junte, le général Hemeti », relate l’avocat.

Pour Itay Mack, si les liens privilégiés d’Israël avec les Etats-Unis le contraignent à la plus grande prudence, « notre gouvernement fait bien mieux que d’envoyer des combattants israéliens à la Russie : il soutient activement l’économie russe ! » L’Etat hébreu a ainsi refusé d’appliquer les sanctions, provoquant la colère des Etats-Unis et de l’Europe. Le business continue, notamment dans les secteurs de la banque et du diamant où les échanges entre les deux pays sont intenses. Israël sert de plaque tournante et de refuge aux oligarques, car Russes et Ukrainiens n’ont pas besoin de visa pour résider jusqu’à 90 jours en Israël. « Il a été décidé que leurs jets privés n’auraient le droit de ne rester que 48 heures à l’aéroport. Bien assez pour aller déposer une montagne de valises dans un palace, relève l’avocat israélien. Le ministre de la Défense a beau jeu d’annoncer la construction d’un hôpital de campagne et l’envoi de casques et de gilets pare-balles à l’Ukraine ! »

A ce soutien étatique s’ajoute celui des entreprises. On se rappelle le scandale des écoutes par le logiciel espion israélien Pegasus. En Russie, dit Itay Mack, c’est par Cellebrite qu’est menée aujourd’hui la répression. « Grâce à une pétition que j’ai lancée, cette entreprise s’est vu interdire en 2021 par la Cour suprême israélienne de continuer à vendre son système de tracking au comité d’enquête du Kremlin. Notre justice s’est en revanche déclarée incompétente pour démanteler le système de surveillance mis en place entre-temps… »

Les russophones d’Israël pèsent-ils sur les relations entre les deux pays ? Hier, c’était du communisme qu’ils s’échappaient ; depuis dix ans, les voici fuyant Vladimir Poutine au point que la dernière vague d’immigration que nous avons connue a été surnommée l’ « alya de Poutine », relate la professeure à l’Université hébraïque de Jérusalem Ksenia Svetlova. Depuis la guerre du Donbass de 2014, le vent a tourné. « Les Israéliens sont bien davantage opposés à la politique du Kremlin qu’il y a huit ans. Aujourd’hui, la Russie est perçue comme l’agresseur et les manifestations anti-guerre se multiplient tout comme les initiatives d’aide humanitaire », poursuit Ksenia Svetlova. De fait, le pays accueille plus de nouveaux juifs russes dissidents que de réfugiés ukrainiens. Les voilà dans un nouveau foyer qui n’a pas fini de se débattre dans les paradoxes.

L’Etat hébreu a refusé d’appliquer les sanctions contre la Russie, provoquant la colère des Etats-Unis et de l’Europe

ALINE JACCOTTET
Le Temps du 28 avril 2022

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