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Mort d’Yves Coppens, passeur de préhistoire

mercredi 22 juin 2022, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 22 juin 2022).

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22 juin 2022

Assawra

23 mars 2018, Paris, Yves Coppens, mémoires "Origines de l’Homme, origines d’un Homme"

Le paléontologue français Yves Coppens, découvreur de plusieurs fossiles d’hominidés dont la célèbre australopithèque Lucy, est décédé mercredi 22 juin 2022 à l’âge de 87 ans, a annoncé son éditrice Odile Jacob.

"Yves Coppens nous a quittés ce matin. Ma tristesse est immense", a tweeté Odile Jacob, saluant "un très grand savant". "Je perds l’ami qui m’a confié toute son oeuvre. La France perd un de ses grands hommes", a ajouté l’éditrice.

Le scientifique est mort des suites d’une longue maladie, a précisé la maison d’édition à l’AFP.

Paléontologue de renommée mondiale, professeur émérite au Collège de France et membre de l’Académie des sciences, Yves Coppens n’a eu de cesse de raconter l’épopée humaine, avec un "talent d’écrivain de conteur, d’essayiste", a commenté Odile Jacob.

Ce chasseur de fossiles se présentait comme l’un des "papas" de Lucy, aux côtés des scientifiques Maurice Taieb et Donald Johanson : en 1974, dans la dans la dépression de l’Afar en Ethiopie, l’équipe avait mis au jour le fossile d’hominidé le plus complet jamais trouvé, un australopithèque âgé de 3,2 millions d’années.

Au total, Yves Coppens est cosignataire de six hominidés.

Il était né le 9 août 1934 à Vannes (Morbihan) et fils d’un physicien nucléaire.

***

Le célèbre paléoanthropologue est mort ce mercredi 22 juin 2022, à l’âge de 87 ans. L’Humanité avait publié un entretien à l’occasion de la sortie de ses Mémoires, en 2018.

Célèbre pour avoir découvert plusieurs fossiles d’hominidés dont l’australopithèque Lucy, le paléoanthropologue Yves Coppens a publié, à 83 ans, ses mémoires, dans lesquels il retrace son parcours et raconte la naissance de sa passion pour l’archéologie. L’occasion pour ce passionné de nous recevoir chez lui et de nous offrir, avec la générosité qui le caractérise, un précieux entretien sur les origines et l’évolution de l’homme.

Vos mémoires(1) paraissent l’année où nous fêtons les 150 ans de la découverte de l’homme de Cro-Magnon en France… Comment cet anniversaire résonne-t-il pour vous  ?

Yves Coppens : Il est intéressant de mettre en perspective l’histoire de la découverte de Cro-Magnon avec celle de Neandertal  : avant la mise au jour du premier fossile de Cro-Magnon en 1868 dans un petit abri sous roche en Dordogne, des restes de Neandertal avaient été retrouvés en 1829 en Belgique, en 1848 à Gibraltar et en 1856 en Allemagne. Or, pétri de toute la tradition chrétienne en Europe, le grand public et les scientifiques étaient décontenancés par cet ancêtre qu’ils ne trouvaient pas «  beau  », au sens esthétique du XIXe siècle. Alors quand le préhistorien français Louis Lartet a découvert Cro-Magnon qui offrait, lui, l’«  élégance  » des caractères anatomiques que tout un chacun espérait d’un ancêtre (grand front, beau menton, plus de 1 600 cm3 de capacité endocrânienne), cela a été un soulagement et un bonheur  ! En ce sens, la rapide mise au jour des hommes de Cro-Magnon a «  réparé  », si je puis dire, le dommage des premières découvertes européennes et a, en même temps, encombré la promotion de Neandertal, qui ne méritait pas d’être présenté comme une brute sauvage. D’ailleurs, la nouvelle exposition qui lui est consacrée au musée de l’Homme montre qu’il n’était ni supérieur ni inférieur à l’homme moderne, seulement différent.

De récentes études paléogénétiques ont démontré que nous possédons des gènes néandertaliens. En quoi ces données changent-elles notre regard sur nos origines  ?

En comparant l’ADN fossile de Neandertal avec l’ADN d’hommes actuels, le paléogénéticien Svante Pääbo (lire l’entretien paru dans l’Humanité du 30 octobre 2015) a démontré que les femmes et les hommes d’aujourd’hui qui ne sont pas originaires d’Afrique subsaharienne renferment 1 % à 4 % de l’ADN de Neandertal. Ce qui signifie que Neandertal et Homo sapiens se sont mélangés en Europe, en Asie et au Moyen-Orient. C’est formidable car, en plus de conforter l’idée de nos multiples métissages, ces études confirment l’hypothèse selon laquelle l’homme est sorti d’Afrique. Partant d’Afrique, il y a environ 2 millions d’années, l’homme s’est répandu à travers toute l’Eurasie, formant de petites populations dissociées les unes des autres. En s’isolant, leurs descendances ont divergé les unes des autres, pour devenir des populations, puis finalement des espèces différentes… et c’est ainsi qu’est né Neandertal en Europe. Il a ensuite reflué au Proche et au Moyen-Orient pour des raisons climatiques et opportunistes et s’est mélangé avec des Cro-Magnon.

Dans ces conditions, employer le terme d’«  espèce  » pour différencier les hommes préhistoriques a-t-il encore du sens  ?

Je pense que les espèces humaines ne sont pas de vraies espèces  : autant les espèces animales ou végétales se séparent les unes des autres et ne se rejoignent plus, autant l’homme interagit et se mélange avec d’autres hommes… Ces gens-là ne peuvent pas s’ignorer  ! Le rôle de la culture est bien plus important que ce que l’on imagine  : dès que l’homme est homme, il fabrique, invente, et la culture agit sur lui et ses relations. Je ne suis donc pas étonné que Neandertal rencontrant Homo sapiens se soit mélangé. Ces petites cases que l’on appelle «  espèces  » dans lesquelles on range les fossiles sont plus poreuses dans la réalité.

Justement, en tant que paléoanthropologue, que répondez-vous à l’immense question «  Qu’est-ce que l’homme ?  ». Qu’est-ce qui le différencie du préhumain qui le précède de 10 millions d’années  ?

Le préhumain est le premier à être debout en permanence  : il marche et continue de grimper, l’étude des tissus de ses os le montre bien. Comment devient-il humain, il y a 3 millions d’années  ? Parce qu’il s’adapte à un milieu beaucoup plus sec, l’homme bipède ne grimpe plus, sa respiration change, son nez se transforme pour mieux respirer et son larynx descend, ce qui facilite l’émergence de la parole. Aussi, comme il y a moins de végétaux, il est obligé de manger de la viande, sa mâchoire évolue et, enfin, sa tête se développe, l’encéphale grossit afin qu’il invente des stratégies pour éviter de se faire tuer par des prédateurs. Car si le préhumain était protégé en terrain couvert sous les arbres, l’humain ne l’est plus et doit donc développer toutes les conduites possibles pour survivre. C’est ainsi que l’homme passe un cap. À partir du moment où se développe la parole, la prise de conscience de soi et des autres, sa dimension sociale ne font que s’accroître. Comme je l’ai écrit  : sans l’autre, l’homme n’est rien. La culture qu’il invente, cumule et apprend ne peut se construire ni se transmettre sans contact avec l’autre.

Dès 1960, vous partez en expédition en Afrique à la recherche de fossiles humains. Quelle découverte vous marque le plus  ? Celle de Lucy  ?

Non, le moment le plus impressionnant et émouvant pour moi est sûrement la découverte du premier Tchadanthropus, au Tchad, en 1961. J’avais 25 ans. Je partais pour la première fois en Afrique avec l’espoir de trouver des restes humains et en dénicher un, au bout d’un an seulement, était inespéré. C’était surprenant car le fossile que j’ai trouvé s’est présenté sous la forme d’un caillou. C’est en le retournant que je me suis retrouvé face à un fragment crânio-facial. On ne connaît toujours pas son âge, mais ses traits marqués font penser à un de nos ancêtres Homo erectus…

Les Français vous connaissent surtout comme le «  père de Lucy  ». Quels souvenirs gardez-vous de cette femme australopithèque découverte en 1974  ?

Oui, les médias, qui m’appellent aujourd’hui le «  papa de Lucy  », ont oublié que pendant une demi-douzaine d’années j’ai été, pour eux, «  l’homme du Tchad  »  ! En 1969, un ami géologue, Maurice Taieb, est venu me demander d’analyser une dent fossile d’éléphant qu’il avait retrouvée dans la région de l’Afar, en Éthiopie. Je l’ai datée à entre 2 et 3 millions d’années. Il est revenu me voir l’année suivante avec d’autres ossements qui confirmaient cette datation, je l’ai alors encouragé à monter une expédition. Nous sommes partis avec deux Américains en 1972. Et, en 1974, nous avions découvert au total 52 morceaux d’hominidés  ! Nous nous sommes rendu compte que tous ces os se complétaient et appartenaient au même individu… ce qui était sans précédent et excitant  ! Petit à petit, cette découverte est devenue très importante. Ce fossile bien fourni d’australopithèque vieux de 3,2 millions d’années nous renseignait sur la taille, le poids, les mouvements biomécaniques, les comportements et l’environnement dans lesquels évoluait cette espèce. Nous l’avons nommée Lucy en écho à la chanson des Beatles Lucy in the Sky with Diamonds que nous écoutions. Les agences de presse ont cru que nous voulions faire référence à Lux, du latin «  la lumière  », parce que le fossile nous éclairait sur nos origines… mais nous n’avons jamais pensé à cela (rires)  !

Votre enfance en Bretagne a joué un rôle important dans votre passion. Vous écrivez que, «  avant d’attraper l’“archéologite”, vous contractez l’“exotite”  : l’attrait de l’ailleurs et des gens d’ailleurs, avant l’attrait de l’avant des gens d’avant  » …

J’ai toujours bien aimé les gens et j’étais fasciné par les voyages. Enfant, je voyais des images exotiques, je collectionnais des timbres, je buvais les paroles des marins de ma famille quand ils revenaient, chaque été, dans notre maison à La Trinité-sur-Mer. Je rêvais de cet ailleurs. Et j’étais partagé entre la mer et la falaise. Car la falaise était faite de cailloux, de rochers, de dépôts de terre recelant les mystères du passé. Un peu avant 10 ans, d’ailleurs, j’ai passé un été entier à dégager un squelette de vache ancienne de la falaise d’une petite plage de La Trinité-sur-Mer que j’ai ramené chez ma grand-mère  !

Sautons dans le temps justement. Dans votre ouvrage, vous détaillez vos recherches sur le terrain et vos interactions avec vos collègues. Que souhaitez-vous transmettre aux jeunes générations  ?

La curiosité, la patience et la persévérance. Parce que c’est long de chercher et on ne trouve pas souvent ce que l’on pensait  ! Si l’on est tenace, confiant, travailleur et que l’on tient à sa passion, on y arrive.

Certes, mais la recherche, notamment en sciences humaines, est malmenée en France… Que conseilleriez-vous aux dirigeants  ?

Je leur rappellerai qu’un pays qui ne fait plus de recherche s’écroule, parce que la recherche fait tourner le moteur intellectuel et économique du pays et permet d’afficher un certain éclat dans le monde entier. Et, en ce qui concerne mes disciplines, elles ne sont pas anodines  : pour l’avenir, il est important de développer l’étude du passé. S’intéresser à ce grand récit de l’Univers et de l’homme permet de mieux nous situer, nous comprendre et met en évidence un mécanisme essentiel  : tout se transforme. Il faut regarder dans le rétroviseur pour comprendre ce processus. Cela signifie qu’aujourd’hui nous sommes à un stade où nous allons encore nous transformer. Nous sommes Sapiens, mais ne le resterons pas.

Spécialiste de l’évolution humaine, comment imaginez-vous l’homme de demain face au changement climatique  ?

Ayant inventé la culture il y a 3 millions d’années, je pense que l’homme a les moyens de réagir au réchauffement climatique. En revanche, cela entraînera un changement d’environnement et d’alimentation auquel il devra s’adapter. La chaleur monte en latitude, il faut s’y préparer. Pour plaisanter, je conseille souvent aux Normands d’abattre leurs pommiers pour planter des oliviers  ! Aussi, avec la fonte du Groenland, les populations habitant près des côtes seront bientôt obligées de se déplacer et l’on peut s’inquiéter de l’avenir de ces réfugiés climatiques car, dans l’ensemble, les institutions n’anticipent pas assez cette crise.

Anna Musso
L’Humanité du 22 juin 2022

(1) Origines de l’homme, origines d’un homme. Mémoires, d’Yves Coppens. Éditions Odile Jacob, 462 pages, 24,90 euros.

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