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« La violence » au prisme d’un marxisme lénifiant

samedi 3 décembre 2022, par Jean-Pierre Garnier (Date de rédaction antérieure : 3 décembre 2022).

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3 décembre 2022

Étoile montante d’un marxisme de la chaire revu et corrigé à lumière des Lumières, Stéphanie Rosa, philosophe de son état et d’État, gratifie ses fans, dans un entretien réalisé à l’occasion de la parution de son dernier ouvrage , d’une condamnation sans appel — une de plus — de Jean-Paul Sartre. Le délit (d’opinion) de ce dernier : s’être fait l’apôtre de « la violence », l’article défini autorisant, comme il est d’usage dans l’approche idéaliste des phénomènes sociaux, une montée en généralité laissant dans l’indéfinition la violence dont il est question.

Selon Stéphanie Rosa, il y a « un énorme problème dans Critique de la raison dialectique ». Ce qu’elle dit « ne pas comprendre chez les Sartriens, c’est que Sartre fait une apologie de la violence hallucinante » . « Pour lui, précise t-elle, les opprimés sont des sous-hommes jusqu’au moment où ils se révoltent, et ils ne peuvent reconquérir leur liberté qu’en trucidant des gens. Pour conquérir son humanité, il faut tuer ». Bref, « c’est le meurtre qui fait l’entrée dans le genre humain ». À pareille assertion, le Pontifex Marximus tenancier de la librairie Tropiques à Paris, ne pouvait qu’acquiescer, lui qui, de la philosophie de Sartre, n’a jamais rien compris et qui, comme tous les couards, a « la violence » en horreur : « C’est un bourgeois parisien fasciné par la violence », juge-il. C’est le côté nihiliste du petit bourgeois français. » Un diagnostic philosophico-politique qui pourrait surprendre par son inconséquence si l’on ne connaissait pas celui qui l’émet.

D’abord, l’histoire de la capitale, pour se limiter à cette ville, montre que le bourgeois parisien a une peur bleue de la violence populaire, comme l’a confirmé récemment la révolte des Gilets jaunes, n’hésitant pas à faire appel à celle, soi-disant légitime, des « forces de l’ordre » pour se prémunir contre elle et l’étouffer dans l’œuf au besoin. Plutôt que de fascination, c’est de panique qu’il conviendrait de parler. Ensuite, se référer dans la foulée, en passant d’une classe à une autre sans autre forme de procès, au « nihilisme du petit bourgeois français » pour définir l’appartenance socio-idéologique de Sartre, témoigne d’une ignorance à la fois de ce qu’est le nihilisme et de ce qu’est la petite bourgeoisie. Ce qui ne saurait étonner de la part d’un patron de librairie, donc d’un membre de la petite bourgeoisie traditionnelle lié par définition (marxienne) à la petite production marchande, mais qui, depuis deux décennies aspire à faire aussi partie de la petite bourgeoisie intellectuelle, soit de la « classe moyenne éduquée », pour reprendre l’appellation officielle des agents dominés de la domination qui la composent. Ce qui l’autorise notre libraire, semble t-il, à cataloguer comme « nihiliste » la négation des valeurs intellectuelles et morales communes à ces deux fractions de classe et les idéaux collectifs correspondants.

Stéphanie Rosa, quant à elle, ne s’arrête pas là. « Le texte le plus scandaleux » de Sartre, décrète t-elle, « c’est la préface aux Damnés de la terre […] qui n’est qu’un grand appel au meurtre. On hallucine de cette préface. » Comme tous les blancs-becs diplômés des nouvelles générations qui se targuent d’actualiser la pensée de Marx sans avoir jamais vécu, du moins en France, des périodes où « la violence » ébranlait de cours de l’histoire, que ce soit celle des deux guerres mondiales ou celle des guerres de libération anticoloniales, et perdait donc son statut de concept métaphysique dépolitisé, la jeune philosophe, toute « marxiste » qu’elle prétende être, oublie de resituer dans son contexte socio-historique l’usage et donc la signification de ce concept. À ce compte, les résistants français à l’occupation allemande, les fellagas algériens en lutte contre le colonialisme français ou les guérilleros cubains affrontant la dictature de Batista n’auraient dû attendre aucun soutien, ne fut-ce que verbal, des intellectuels dits « engagés ».

Stéphanie Rosa, néanmoins, qui n’est plus à une contradiction près, concède tout de même quelques mérites à Sartre pour ses « positions courageuses — il faut au moins lui reconnaître çà [sic] — pendant la guerre d’Algérie », rappelant à ce propos plusieurs plasticage de son appartement â Paris par l’OAS. « Il a pris fait et cause pour l’indépendance algérienne. Il faut quand même le lui reconnaître [re-sic] ». Le FLN n’était pourtant pas spécialement partisan de la non-violence ! Toutefois, les concessions de S. Rosa à l’égard de Sartre s’arrêtent là : « Sur la violence, je ne crois pas qu’il ait fait amende honorable. Les perspectives qu’il trace pour le peuple algérien, enchaîne t-elle, c’est rien d’autre que la violence. Il termine en disant que de toute façon, c’est bien, parce que la violence va se transporter de l’autre côté de la Méditerranée, il y aura une guerre civile, on va s’entretuer, et enfin ce sera la violence salvatrice. » Pour qui a lu la préface des Damnés de la terre autrement qu’en la survolant, on chercherait pourtant en vain trace de cette fuite en avant de Sartre dans la fiction à la fois délirante et euphorisante d’une France mise à feu et à sang par des révolutionnaires venus ou issus du Maghreb.

Laissons malgré tout à Stéphanie Rosa le mot de la fin car il la situe aux antipodes de la pensée marxiennne. « Celui qui a fait le meilleur commentaire sur la question de la violence, selon elle, c’est Raymond Aron qui, avec son livre Histoire et philosophie de la violence, a fait tomber à la renverse certains sartrolâtres. Il met le doigt sur la question de la violence de manière pertinente. » Reconnaissons cependant une certaine cohérence à cette appréciation élogieuse d’un auteur ayant incarné mieux que d’autres, sur le plan idéologique, le point de vue bourgeois sur le monde durant la guerre froide. Pour la cohorte des marxistes lénifiants qui occupent le devant de la scène universitaire, il est logique, en effet, que les considérations rassurantes et apaisantes, pour ne pas dire bien pensantes, sur la violence, en politique comme dans l’histoire, l’emportent sur les autres. Après la « Conjuration des égaux » animée par Babeuf, en laquelle Friedrich Engels et Karl Marx reconnaissaient « la première apparition d’un parti communiste réellement agissant », voici le temps venu de la conjuration des egos diplômés grâce auxquels les « lumières de la gauche » achèvent de s’éteindre, comme on a pu le vérifier une fois de plus dernièrement, avec leur soumission à la dictature covidiste et leur ralliement à l’euro-atlantisme.

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1 Stéphanie Rosa, Lumières de la gauche, Éditions de la Sorbonne, 2022

2 Les Lumières de la gauche - YouTube :

https://www.youtube.com/watch?v=xn5…

3 Rappelons à ce propos qu’avoir une hallucination, c’est éprouver une sensation en général non provoquée par un objet réel. Il est significatif que S. Rosa l’utilise à deux reprises le verbe halluciner selon une habitude fautive très répandue pour signifier tout simplement que l’on est très étonné, stupéfait.

1 Message

  • Bonjour Do,

    Pour ne l’avoir jamais rencontrée ni même avoir eu un contact virtuel via internet avec elle, je n’ai aucun compte personnel à régler avec la dame dont il est question. Si je l’ai choisie cette fois-ci comme cible, c’est parce qu’elle incarne parfaitement à mes yeux ce qu’est devenue l’intelligentsia « degôche » française, marxisante de surcroît.

    Amicalement
    Jean-Pierre

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