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De Farm Hall à l’Arcouest : science, conscience et villégiature…

mardi 13 décembre 2022, par Luniterre

Albert Einstein et Werner Heisenberg sont incontestablement les deux plus grands savants du XXe siècle, ceux dont les recherches ont fondé l’essentiel des découvertes scientifiques et technologiques sur lesquelles reposent les infrastructures de notre civilisation technologiquement développée du XXIe siècle.

Ils ont eu, au cours de ce XXe siècle, deux destins croisés et quasiment « intriqués », même si souvent formellement en opposition et contradiction. L’une de ces controverses est celle qui a abouti, provisoirement, aux « expériences de pensée » dites d’Einstein-Podolsky-Rosen, connues sous le nom de Paradoxe EPR.

La controverse a eu lieu essentiellement entre Einstein et Niels Bohr, mais bien sur la base des découvertes et des calculs fondamentaux de Werner Heisenberg (1), connus sous le nom des « relations d’incertitude » (en fait « relations d’indétermination », selon la version finale de Heisenberg), relations mathématiques appliquées à la physique des particules et qui sont à la base de toute la physique quantique moderne, en passant donc par les « expériences de pensée » d’Einstein-Podolsky-Rosen (1935), la théorie des « Inégalités de Bell » (1964), qui en découlaient dans les années 60, menant aux expériences d’Alain Aspect (1982), dans les années 80, aujourd’hui tardivement mais justement couronnées du Prix Nobel.

Au fil de l’histoire le rôle essentiel et même carrément fondateur du travail de Werner Heisenberg est donc relativement « escamoté » dans les diverses chroniques de vulgarisation alors qu’il s’est trouvé, comme Einstein, au carrefour de l’histoire de la science, au moment, précisément, où la science écrivait tragiquement l’histoire de l’humanité à Hiroshima et Nagasaki.

Pour la réalisation de ce « Projet Manhattan », Niels Bohr avait activement et directement collaboré, tandis qu’Albert Einstein en avait donné l’impulsion initiale en signant et en encourageant la pétition de Leó Szilárd et Eugène Wigner adressée à Roosevelt en faveur du développement de la bombe US. (2)

Werner Heisenberg, de son côté, était resté, malgré son origine juive, en Allemagne et s’il a effectivement été affecté à la recherche nucléaire allemande, après une période de menaces sur sa vie, son rôle réel fait encore l’objet de controverses historiques aigües. Pourtant, un de ses textes les plus fondamentaux en termes d’épistémologie, et en fait, de toute l’histoire de l’épistémologie moderne, date précisément de 1942 et n’a été alors diffusé que clandestinement, pour des raison aujourd’hui évidentes, mais qui reste incompris de la plupart des historiens de la science, alors qu’il s’agit d’un chef d’œuvre de précision et d’esprit de synthèse en termes à la fois d’épistémologie et de vulgarisation, dans la mesure où il reste largement accessible au lecteur autodidacte, comme la plupart de ses ouvrages postérieurs à la guerre, du reste.

A l’issue de la guerre, Werner Heisenberg fait partie des scientifiques allemands prisonniers internés en Grande Bretagne à « Farm Hall », une maison entièrement mise sous écoute, et où ils résidaient notamment au moment du bombardement d’Hiroshima.

Selon l’étude des transcriptions des écoutes de « Farm Hall » faite par Goldberg et Powers en 1992 et republiée dans le « Bulletin of the Atomic Scientists »(3), il ressort que Werner Heisenberg était tout à fait capable, aussitôt la réalité du bombardement d’Hiroshima actée par les scientifiques allemands détenus à « Farm Hall », d’en reconstituer le processus et donc qu’il aurait été capable de pousser le projet allemand à son terme, s’il l’avait réellement voulu.

Au lieu de cela, dès 1942 il avait été en mesure de limiter et de réorienter le projet allemand vers le « civil », sans aboutissement réel, non plus, du reste !

Néanmoins il reste d’usage, pour les historiens appointés et/ou idéologiquement orientés, de « cultiver » la légende de l’avancement du projet allemand, afin de justifier à postériori les bombardements d’Hiroshima et Nagasaki.

Le très court mais très dense petit livre de 1942, encore uniquement connu en France sous le titre de « Manuscrit de 1942 » n’a même été publié, huit ans après la mort d’Heisenberg, en Allemagne qu’en 1984 ( « Ordnung Der Wirklichkeit », L’ordonnancement de la réalité), et traduit en Français à partir de 1998, par Catherine Chevalley, dans une édition (Seuil) alourdie de considérations annexes, éventuellement intéressantes, mais pas forcément indispensables, vu la clarté du texte, qui tient autrement, avec la préface de la traductrice, dans les 176 pages de l’excellente édition Allia, depuis 2003.

Un livre essentiel sur le sujet de la relation dialectique entre conscience et réalité. Indispensable comme mise à jour de cette question en rapport avec les fondamentaux de la science, et surtout, de la physique, tels qu’ils sont plus que jamais d’actualité. Indispensable, donc, à ce que peut et doit être une remise à jour épistémologique du matérialisme dialectique au XXIe siècle !

Ebats et débats, d’entrée de jeu, la villégiature de nos scientifiques français à l’Arcouest en 2022 (http://mai68.org/spip2/spip.php?article13571) commence avec cette affirmation du physicien JM Lévy-Leblond selon laquelle il aurait été heureux, et même carrément flatté, de participer, sans état d’âme, au « Projet Manhattan » aboutissant à Hiroshima et Nagasaki, face prétendument au « danger nazi », alors que précisément la bombe n’a eu aucun rôle dans la défaite du nazisme, ni même aucun dans la défaite japonaise, comme on le sait aujourd’hui, sauf comme prétexte à « capitulation honorable » arrangée avec les USA avant la déferlante soviétique en Asie du Sud-Est…

Le reste, même si avec quelques accents de sincérité ici et là, est à l’avenant de cette fracassante « entrée en matière », sur le registre on ne peut plus « convenu » de la bobocratie ambiante, même adoubée « scientifiquement ».

En conclusion, et fort heureusement, on échappe donc in extremis au « Manifeste des scientifiques atterrés » qui eut donc manifestement fait la paire avec celui des économistes éponymes, désormais plus connus comme « atterrants »…

Quoi qu’il en soit c’est donc une bonne occasion de rappeler la terrible histoire du « Projet Manhattan » et de ses complicités réelles, et par contrecoup, de remettre en lumière le livre réellement essentiel de Werner Heisenberg, antidote fondamentale à la déchéance et à la bêtise, du monde actuel comme du monde tragique de son temps.

Luniterre

( 1_ F. Thévet, 2011, p.49

http://ekladata.com/riPf3z1B0q6IfsjDjrsbpUcc1lA/Les-experiences-de-pensee-Francoise-Thevet-actuChimieN-350-mars2011-p.46.pdf )

( 2_ 1939 – Einstein, auteur du premier chantage à l’arme de destruction massive !

http://mai68.org/spip2/spip.php?article4766 )

( 3_ http://ekladata.com/QOz8pvxVv84O4IZKOsaerdtZSvg/COPIE-Bulletin-48-SEPT-1992-Goldberg-Powers.pdf

Retranscrit ici :

« Farm Hall » déclassifié : Hiroshima – Nagasaki, le nucléaire US sans justification possible !

http://mai68.org/spip2/spip.php?article4768)

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VILLÉGIATURE THÉÂTRALE >>>

Suite à la déclassification, en 1992, des transcriptions des écoutes de Farm Hall, différentes tentatives de mises en scène, reprenant ces transcriptions comme bases de dialogues, ont été tentées.

Ci-dessus, en 2013, au Boston’s Central Square Theater, sous le titre d’"Opération Epsilon", nom de code de la rafle des savants germaniques.

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1 Message

  • Petit détail : Maxwell est plus important qu’Einstein. Einstein est le père des bombes atomiques et des centrales nucléaires, mais Maxwell est le père d’Einstein et de l’électromagnétisme.

    En effet, il y a 2 théories de l’électromagnétisme, celle que l’on apprends dans les écoles techniques et qui est une simplification grossière à 2 inconnues de la théorie de Maxwell, laquelle utilise un système de 20 équations à 20 inconnues similaire à celui de la relativité. C’est sans doute cela qui a fait dire à Einstein que sans la théorie de l’électromagnétisme de Maxwell, il n’aurait jamais eu l’idée de la relativité. En pratique, sans l’électromagnétisme de Maxwell en version simplifiée, une centrale nucléaire ne serait qu’une grosse marmite à pression ou un gros chauffage.

    À noter que dans la version d’origine de Maxwell, le premier tiers de l’ouvrage consacré à sa théorie est un cours magistral de mathématique.

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