Initialement, j’allais commenter l’article Aux origines du wokisme et de la cancel culture, et puis, chemin faisant, la réponse a pris la forme d’un article, que je vous propose comme tel. Ce ne sont pas des conneries, comme il est écrit dans l’article cité ci-dessus, mais des idéologies bourgeoises mortelles pour la lutte de classes. Tout d’abord les exemples donnés relèvent davantage du politiquement correct, mais si l’on se réfère au titre, on peut dire qu’il n’y a pas que la Cancel Culture et le wokisme ; on peut y ajouter donc le politiquement correct, le racisme et l’antiracisme, ainsi que le racialisme (complices comme idéologies) ; le révisionnisme comme l’anti-révisionnisme (Loi Gayssot…) et le sionisme (également complices idéologiques) ; l’indigénisme et le décolonialisme, qui n’ont absolument rien à voir avec la lutte anti-coloniale réelle, et historiquement observée ; également le néo-féminisme, et l’antiféminisme, pas que d’extrême droite (catho pour de vrai ou pour de faux), mais aussi les MGTOW, le transgenrisme, et autres calamités, qui transforment des problèmes médicaux réels (la dysphorie de genre) en idéologies. On a vu aussi transformer une orientation sexuelle naturelle bien réelle, certes très minoritaire et connue depuis la nuit des temps, l’homosexualité, en une idéologie, qui tend à imposer cela en norme, alors que la contestation légitime, ancienne, de l’oppression hétérosexuelle sur les homosexuels avait été une des lignes de front des révolutionnaires, au nom de la prise en compte, encore une fois, d’une réalité ancienne, ce qui est autre chose qu’une idéologie. Il y en a plein d’autres, ce serait fastidieux d’en faire une liste exhaustive.
Je voudrais citer quand même le nationalisme, qui n’a de sens pour les révolutionnaires que durant un temps historique limité comme arme des peuples colonisés pour combattre les régimes coloniaux, par exemple. Dès que cette lutte aboutit (toujours imparfaitement, comme tout ce qui se fait dans cette préhistoire humaine), les contradictions de classe s’imposent dans les pays nouvellement décolonisés (terme à préférer à indépendants, qui peut avoir des sens induits différents). Il n’a aucun sens en France, par exemple, pays impérialiste s’il en est.
Également, pour moi, à la lecture de certains échanges, l’anti-impérialisme, qui est une attitude révolutionnaire classique, plutôt que le soutien inconditionnel à des pays, encore moins à des États, pour lesquels les révolutionnaires n’auraient que des critiques à adresser sans leur agression par l’impérialisme. C’est en ce sens que je me retrouve contre l’impérialisme occidental aux côtés des Russes de ce fait, sans pour autant renoncer aux critiques de l’État russe, et de son élite politico-bureaucratique capitaliste. Symétriquement, si je suis contre les élites politico-bureaucratiques ukrainienne, européennes et états-uniennes, je n’ai pas la même attitude envers les peuples de leurs États, dont une partie seulement leur est acquise par l’aliénation qu’elles exercent sur elle.
Le capitalisme est une véritable fabrique d’idéologies, c’est-à-dire, comme l’avait enseigné Marx dans L’Idéologie allemande et d’autres textes, des représentations fausses de la société, de l’histoire, et du monde. C’est par ces idéologies, produites selon les besoins de la domination et de l’aliénation bourgeoises, avec le concours des dominés très souvent, mais en tant que dominés largement inconscients de leur domination, que se propage la domination et l’organisation de la confusion pour empêcher la prise de conscience de classe, car tel est le but : mener vers des impasses les résistances et les contestations de la domination bourgeoise sur la société.
Ces idéologies sont multiples, mais elles ont toutes un même fond et ce même but ; elles sont aussi segmentées, et s’adressent à des fractions de la société qu’elles mettent en mouvement contre d’autres, pour que les dominés ne se coalisent pas contre la domination commune et contre les dominants.
En retour, sur la bourgeoisie même, s’exerce l’aliénation et les effets des idéologies dont elle encourage ou organise la production. La bourgeoisie a à la fois une meilleure idée de sa domination et une idée totalement aliénée de sa position. Elle croit, pour l’essentiel de ses composantes, en dehors d’une élite parfaitement consciente et cynique, à toutes les représentations fausses de la réalité qu’elle défend face aux classes dominées. Par exemple, les bourgeois, en général, croient sincèrement que c’est par leur travail qu’ils sont devenus riches, et que cela n’a rien à voir avec la fabuleuse captation de la plus-value. Ils pensent, comme l’aristocratie naguère, qu’ils sont, disons par nature, destinés à être l’élite de la société, et que sans eux, elle irait à la ruine.
Mais, bien sûr, c’est l’aliénation des dominés qui est la plus pénible à affronter pour les révolutionnaires. Surtout que ces aliénés sont d’autant plus vindicatifs qu’ils sont chargés à bloc par l’aliénation bourgeoise. Et parfois, il n’y a guère le choix, il faut les balayer avant de s’occuper de leurs maîtres. Lire ou relire à ce propos Le Talon de fer, incroyable roman d’anticipation de Jack London. (Télécharger en pdf le roman ICI : ; et lire l’avis de Trotsky LÀ)
Du côté révolutionnaire, il y a des idéologies révolutionnaires à combattre, comme le marxisme, qui n’est pas la démarche de Marx, lequel avait d’ailleurs dit à son gendre Lafargue, commentant le programme des guesdistes, que "… si c’est cela le marxisme, je ne suis pas marxiste." Il avait mis en garde contre l’idéologisation de la pensée révolutionnaire à laquelle il avait tant donné. Pour ma part, ce qu’il faut retenir de Marx et de tous les autres :
La lutte émancipatrice doit donc briser le voile de ces idéologies, et pousser à une prise de conscience de classe, sans laquelle toute révolution est impossible. Le travailleur sans conscience de classe n’est qu’un esclave, une unité statistique, qui peut d’ailleurs se retrouver du côté de l’ennemi de classe le jour d’une insurrection. Aussi, il ne faut pas faire dans l’ouvriérisme, ou plus généralement le prolétarisme (néologisme). Ce qui sépare les révolutionnaires des autres est la conscience de classe, et tout ce qui entrave la formation de cette conscience doit être combattu et ruiné.
C’est pourquoi, pour terminer provisoirement, il faut absolument empêcher la racaille de droite comme de gauche, d’extrême-droite comme d’extrême-gauche (je parle ici de tous les supplétifs du capital) de dévoyer les concepts et les notions que le mouvement révolutionnaire a mis tant et tant de décennies à construire et clarifier. Cette racaille les récupère, les délave et les tord, après les avoir vidé de leur substance subversive, au profit d’un enfumage des luttes réelles, et doit être combattue comme telle, comme le dénonçait déjà en son temps Jaime Semprun dans son Précis de récupération (en télécharger une version pdf ICI).
Dev