Note de do : SOLVE ET COAGULA
Miguel Diaz-Canel, un protégé de Raúl Castro au pouvoir
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Paulo A. Paranagua (Le Monde)
Publié jeudi 19 avril 2018 à 13:18
Modifié jeudi 19 avril 2018 à 15:33
Cet ingénieur de formation, qui a lentement monté les marches du pouvoir, a été formellement élu ce jeudi. Il ne semble pas vouloir dévier de la ligne du parti
Il parle peu, sourit encore moins. A 57 ans, Miguel Diaz-Canel renvoie l’image d’un apparatchik modèle qui a su gravir, discrètement et patiemment, les échelons du pouvoir cubain sous l’aile de son mentor, Raúl Castro. Elu comme successeur du président sortant à la tête de l’Etat ce jeudi, cet homme marié deux fois et père de deux enfants représente la génération de cadres dirigeants nés après la révolution de 1959. Un « civil », doté d’une « solide fermeté idéologique », selon Raúl Castro, ajoutant qu’« il n’est ni un parvenu ni un intrus ».
Fils d’une institutrice et d’un mécanicien, Miguel Diaz-Canel est né à Placetas (province de Villa Clara), le 20 avril 1960. Après avoir décroché le titre d’ingénieur électronicien à l’Université centrale de Las Villas, en 1985, il commence sa carrière professionnelle comme officier des Forces armées révolutionnaires (FAR). Il revient ensuite à l’université comme enseignant, devient un dirigeant local des Jeunesses communistes et part en « mission internationaliste » au Nicaragua sandiniste (1987-1989).
Une ascension fulgurante
A son retour, ce dirigeant provincial, puis national, des Jeunesses communistes commence une ascension fulgurante dans l’appareil. Dès 1991, à peine trentenaire, il entre au comité central du Parti communiste de Cuba (PCC, parti unique). Trois ans plus tard, il est le premier secrétaire du PCC à Villa Clara, ce qui fait de lui la principale autorité de la province.
Il y gagne une réputation de jeune cadre cool, populaire parmi ses administrés. Il se déplace à vélo, symbole des pénuries provoquées par la fin des subsides soviétiques. Il porte des jeans, se déclare fan des Beatles et autorise l’ouverture d’un centre culturel à Santa Clara, El Mejunje, où seront présentés des spectacles de travestis.
En 2003, le PCC le nomme premier secrétaire de la province de Holguin. C’est sur ordre du général Raúl Castro, ministre des FAR pendant un demi-siècle, qu’il entre au bureau politique du parti. Le frère de Fidel Castro continue à le propulser vers le haut et le fait entrer à son gouvernement comme ministre de l’Education supérieure, en 2009.
Au premier rang de la succession
A peine trois ans plus tard, Miguel Diaz-Canel remplace une des figures de la vieille garde orthodoxe et conservatrice, José Ramon Fernandez, comme vice-président du conseil des ministres chargés de l’Education, de la science, de la culture et des sports. En 2013, il succède à un autre représentant de la « génération historique », le stalinien José Ramon Machado Ventura, comme premier vice-président des conseils d’Etat et des ministres.
La relève des générations est en marche. Miguel Diaz-Canel est placé au premier rang de la succession présidentielle. Il multiplie les déplacements officiels, à Cuba et à l’étranger, mais parle rarement en public et jamais à la presse étrangère. Il s’applique à éviter toute polémique, ne s’exprimant que lors d’activités publiques ou dans l’anonymat de réunions à huis clos.
L’héritage du mentor
Un discours prononcé devant une école de cadres du parti, en 2017, montre un dirigeant implacable contre toute forme de diversion idéologique. Il s’en prend même aux « centristes » qui prétendent incarner une alternative réformiste, pourtant éloignée de la dissidence. Il donne ainsi des gages à l’élite castriste, pour assurer qu’il saura gérer l’héritage avec zèle.
« Diaz-Canel ne doit pas sa promotion de ministre, puis au bureau politique du PCC, à la vieille garde, mais au seul Raúl Castro », nuance l’historien cubain Rafael Rojas. Le dauphin pourra-t-il s’affranchir de la tutelle de son mentor, qui reste premier secrétaire du parti unique ?
Une page historique se tourne
La fin des Castro à la tête de l’Etat cubain est une étape symboliquement importante
Cuba tourne une page historique avec le départ de Raul Castro, mais celui-ci gardera la main sur le Parti communiste pour guider son successeur et l’aider à fédérer les cercles du pouvoir cubain. Depuis la révolution de 1959, Cuba n’a connu qu’une seule véritable transition à sa tête.
C’était en 2006, et Fidel Castro, atteint par la maladie, passait le témoin à son frère cadet, après plus de quarante ans de pouvoir sans partage. Fidel Castro s’est éteint fin 2016 et c’est aujourd’hui au tour de Raul, 86 ans, de céder son siège à un représentant de la nouvelle génération, qui sera désigné ce jeudi par l’Assemblée nationale. Pour la première fois depuis des décennies, le président cubain ne s’appellera pas Castro, ne fera pas partie de la génération « historique » de la révolution de 1959, ne portera pas l’uniforme militaire et ne cumulera pas ses fonctions avec celles de premier secrétaire du puissant Parti communiste.
L’événement le plus marquant de l’ère Raul a eu lieu le 17 décembre 2014 lorsqu’il annonce à la télévision un rapprochement inattendu avec l’ancien ennemi américain de la guerre froide. Le 20 juin 2015, les deux pays renouent leurs relations diplomatiques et, en mars 2016, le président cubain reçoit Barack Obama à La Havane. Le processus de normalisation est freiné depuis l’arrivée à la Maison-Blanche du républicain Donald Trump, défenseur d’une ligne plus dure envers Cuba.
En 2013, Raul Castro met fin aux restrictions draconiennes qui empêchaient les Cubains de voyager à l’étranger. Ils y sont désormais autorisés pour une période allant jusqu’à deux ans, ne perdant plus leurs biens ni leur logement tant qu’ils sont partis en toute légalité. Cette réforme a facilité les visites et le rapatriement des Cubains émigrés. De janvier 2013 à décembre 2016, plus de 670 000 Cubains ont réalisé plus d’un million de voyages vers d’autres pays. (AFP/LT)
Les défis colossaux de Miguel Díaz-Canel à Cuba
https://www.letemps.ch/opinions/defis-colossaux-miguel-diazcanel-cuba
Stéphane Bussard
Publié jeudi 19 avril 2018 à 20:17
Elu jeudi à la présidence du pays, cet apparatchik de 57 ans met fin à six décennies de castrisme, mais en maintiendra les fondements. Confronté à une économie moribonde et à une jeunesse désillusionnée, il ne pourra se contenter d’assurer la continuité du régime
Une passation de pouvoirs sans changement de régime. L’élection, jeudi, de Miguel Díaz-Canel à la présidence de Cuba est un symbole fort. Elle met fin à soixante ans de castrisme, un communisme tropical de forme autoritaire incarné depuis la révolution de 1959 par Fidel et Raúl Castro. Mais après une décennie de changements et pseudo-changements – le retrait de Fidel en juillet 2006, les réformes économiques de Raúl à partir de 2008 et, bien sûr, le rétablissement des relations diplomatiques entre La Havane et Washington –, l’avènement de Díaz-Canel, apparatchik peu flamboyant, ne suffit pas à enthousiasmer les Cubains.
Le nouveau président a certes un atout : il représente une nouvelle génération qui n’a pas connu la révolution. Sa marge de manœuvre sera toutefois réduite, Raúl Castro conservant la fonction de premier secrétaire du Parti (unique) communiste. Or les défis qu’il devra relever sont colossaux.
Déjà saigné par l’implosion, en 1991, de l’URSS, qui avait financé l’idéal révolutionnaire cubain, le pays subit un nouveau coup du sort : l’effondrement du Venezuela, qui lui livrait du pétrole à bon compte. Longtemps surnommé « El Chino » (le Chinois) pour avoir privilégié une libéralisation de l’économie à défaut du pouvoir politique, Raúl Castro, plus pragmatique que son frère Fidel, a su engager des réformes économiques. Il a permis à un demi-million de Cubains de travailler à leur propre compte (cuentapropistas).
La volte-face américaine
Il a libéralisé en partie les voyages et la vente immobilière. Il a aussi saisi la main tendue par Barack Obama pour normaliser les relations avec l’ennemi juré de la guerre froide. Mais de peur de perdre le contrôle d’une libéralisation censée préserver le modèle social cubain, il a pris peur et durci à nouveau la gestion autocratique du pays.
Les espoirs fous créés par la visite historique d’Obama à La Havane en mars 2016 ont fait long feu. Si une frange de la société profite d’un changement limité, mais visible dans les bars et restaurants branchés de la capitale, une majorité de Cubains encaissent une nouvelle désillusion exacerbée par la volte-face américaine de l’administration Trump.
Avec des ressources de plus en plus limitées, les réels acquis de la révolution, la santé et l’éducation, s’effritent. La pauvreté, surtout à l’est, est rampante. L’unification des deux monnaies (peso convertible et peso cubain), un système mis en place par le Lider maximo au moment de la « période spéciale » des années 1990, fait figure d’épouvantail tant elle risque de causer des dégâts sociaux considérables. Elle est pourtant inéluctable. Confronté à une jeunesse cubaine fatiguée par la rhétorique d’une révolution qu’elle n’a pas connue, Miguel Díaz-Canel ne pourra se contenter de maintenir un régime autoritaire. Il devra offrir une ouverture raisonnable. Difficile exercice d’équilibrisme.