Bonjour do,
L’exposé à l’École normale Supérieure de Lyon que je t’ai envoyé, m’avait valu des ennemis supplémentaires parmi mes ex-confrères et ex—consœurs, allergiques, il est vrai, à toute analyse marxienne des « violences urbaines ». À mes côtés sur l’estrade se trouvait l’historienne Annie Fourcaut, experte ès « jeunes de cités » qui a conseillé durant des décennies un paquet de responsables de la « politique de la ville ». Elle avait planché juste avant moi en développant une analyse des plus conformes sur ce thème que je me suis amusé à contredire. On peut la voir, excédée, quitter l’estrade avant la fin de mon exposé.
Comme il fallait s’y attendre, les émeutes récentes ont donné l’occasion à une foule de spécialistes en sciences dites sociales (sociologues, anthropologues, géographes, politologues…) qui font carrière en analysant la « crise des banlieues » de dresser un parallèle avec celles qui s’étaient déroulées une vingtaine d’années auparavant. Pour prouver leur sagacité, ils se sont attachés à montrer que les unes et les autres n’étaient pas en tout points comparables. En prenant soin de laisser dans l’ombre ce qui les rapprochait : le fait qu’elles étaient les unes et les autres le produit dérivé d’un capitalisme redevenu « sauvage » faute d’une opposition révolutionnaire digne de ce nom.
Annie Fourcaut, par exemple, devenue professeurs émérite à l’Université Panthéon-Sorbonne mais toujours sur le front « urbain », découvre, pour Public sénat, que « la carte des émeutes ne correspond pas du tout à celle de 2005 où les émeutes avaient clairement lieu dans les quartiers les plus pauvres », Pour elle, « les émeutes d’il y a près de vingt ans exprimaient un sentiment de danger face aux forces de l’ordre doublé d’un sentiment d’abandon. » Comme si ces sentiments avaient disparu ! Mais pour cette intello « degôche » néo-petite bourgeoise, comme pour les bourgeois dont elle est chargée d’éclairer la lanterne, un fait nouveau et inquiétant doit retenir l’attention : « À l’époque, le centre de Paris avait été épargné. Ce qui n’a pas été le cas ces derniers jours. » Comme les Gilets jaunes, les « racailleux de banlieue » ont en effet osé foutre le bordel dans les « beaux quartiers ». Et notre experte de préciser : « De manière générale, les événements ne sont plus circonscrits aux quartiers pauvres : beaucoup d’incendies ont eu lieu dans des endroits qui d’habitude sont très calmes. »
Thomas Sauvadet, un sociologue — ou plutôt un flicologue tant ses recherches sont imprégnées d’idéologie sécuritaire — « spécialiste des bandes de jeunes » [sic], dont j’avais eu la naïveté de faciliter l’intégration dans le comité de rédaction de la revue universitaire « Espaces et Sociétés », se fend, sur la chaîne-poubelle BFMTV. Com d’un diagnostic qui ne peut qu’enchanter ses commanditaires : les derniers événements témoigneraient de « la radicalisation de l’hostilité des émeutiers. » « On a par exemple, poursuit-il, assisté beaucoup plus rapidement à des scènes de pillage. Les jeunes d’aujourd’hui ont grandi dans un environnement beaucoup plus toxique et beaucoup plus radical que les émeutiers de 2005 ».
Environnement qui n’aurait rien à voir avec le pourrissement continu d’une société capitaliste en voie de décomposition déjà avancée. Ne cherchons surtout pas, en effet, des excuses, comme s’entêtent à le faire des chercheurs encore viciés par le gauchisme, à ces « pirates du bitume — c’est le titre de l’un des bouquins de Sauvadet, très prisé, entre autres, par les militants du syndicat policier néo-fasciste Alliance – mus par « une volonté de puissance » que seraient, selon ce socio-flic zélé, les jeunes délinquants des quartiers paupérisés. En première ligne des récentes émeutes, leur violence n’aurait rien de politique, croit-il observer : « Ils viennent plutôt des bandes de jeunes, de la rue, voire du trafic et sont habitués au conflit, déjà dans une forme de socialisation violente. » Donc, feu vert pour la répression ! La socialisation, dans « nos démocraties », n’est-elle pas d’ordinaire, comme chacun devrait le savoir, synonyme d’apprentissage de la citoyenneté ?
Amicalement
Jean-Pierre
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