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Les militaires espagnols ne sont pas contents

lundi 14 décembre 2020, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 14 décembre 2020).

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14 décembre 2020

Ellande Duny-Pétré

Le Général Juan Antonio Álvarez Jiménez, (en 2006), parmi les signataires

Et ils le font savoir. La patrie est en danger parce que le nouvel exécutif « est soutenu par des pro-ETArra et des indépendantistes ». Entre lettres au roi et expressions sur internet via les réseaux sociaux, de nombreux officiers s’alarment.

Lettres et manifestes adressés à Felipe VI et à la présidence du parlement européen se multiplient, la toile s’enflamme. Le 10 novembre, 73 ex-militaires, donc à l’abri de sanctions disciplinaires, écrivent au roi d’Espagne pour s’inquiéter de la « détérioration de la nation qu’un jour nous avons juré de défendre ». La « décomposition de l’unité nationale » leur est insupportable. Le coupable est le « gouvernement socialo-communiste soutenu par les pro-ETArra, et les indépendantistes », une menace pour « la cohésion nationale ».

Peu après, ils sont plus de 400 gradés des armées de terre et de mer ou des légionnaires, à signer un manifeste de soutien à cette lettre, 50 généraux et amiraux, plus de 200 colonels. Nombre d’entre eux sont âgés de plus de 70 ans, sympathisants ou membres de Vox, le nouveau parti d’extrême droite qui dispose de 52 députés à la chambre. Extraits du manifeste : « Du fait de sa situation minoritaire au parlement pour constituer un gouvernement, le PSOE choisit de s’allier avec les communistes, avec le soutien des indépendantistes/putschistes catalans et pro-ETArras basques. Il accepte ainsi un affront fait à l’Espagne, l’humiliation de ses symboles, le mépris à l’égard du roi et les attaques contre son effigie ; ainsi que les clameurs indépendantistes et favorables à un coup d’État ».

Intégrité territoriale et Constitution

Le texte critique « les demandes de grâce en faveur de condamnés pour sédition [la dizaine de dirigeants catalans incarcérés], ainsi que les faveurs accordées aux terroristes, avec pour résultat le mépris à l’égard des victimes. Bien qu’étant à la retraite, en tant que militaires nous demeurons fidèles à notre serment pour garantir la souveraineté et l’indépendance de l’Espagne, défendre son intégrité territoriale et sa Constitution, en mettant en jeu notre vie, s’il le faut. Du fait de notre âge, nous ne pouvons plus exercer notre vocation de soldats dans des unités combattantes. Mais nous avons récupéré la liberté d’expression et d’opinion à laquelle nous avions renoncé en embrassant la carrière des armes. Cela nous permet de signer cette déclaration qui souligne les risques que font courir à notre patrie ceux qui sont en charge de diriger l’avenir de l’Espagne ».

Une troisième déclaration est rendue publique début décembre. Elle émane de civils et de militaires liés à la fondation Francisco Franco, l’ancien dictateur. Ils ont du mal à digérer le déménagement de sa tombe de la Vallée de los Caídos et s’émeuvent de voir la famille de Franco obligée de restituer à l’Etat le château de de Pazo de Meirà, en Galice. Le dictateur se l’était auto-attribué en 1941, du temps de sa splendeur.

Eliminer 26 millions de fils de pute

Au même moment, les médias révèlent à l’opinion ébahie les échanges entre militaires, contenus dans un réseau social. Au fil des jours, il y est question de « purger les rouges », nous « devons être convaincus que notre sang ne tolère pas la démocratie ». Nous « sommes prêts au combat, sus aux Rouges ! » assène un intervenant haut gradé qui s’en prend aux « homosexuels, aux féministes, aux indépendantistes catalans, à leur mouvement associatif et aux LGBT ». Un ex-général de division de l’armée de l’air va encore plus loin : « Nous n’avons d’autre solution que de commencer à éliminer 26 millions de fils de pute », chiffre correspondant au total de l’électorat de gauche et abertzale catalan et basque.

Un lieutenant-colonel révèle qu’en mars dernier, des échanges entre membres de forces armées, via un chat, envisageaient « la possibilité d’un coup d’Etat militaire approuvé par le roi ».

En réponse, le chef d’état-major de la Défense, le général M. A. Villaroya se fend d’une déclaration qui désavoue ses pairs et clame sa fidélité à la Constitution et à l’Espagne. Le parti Vox soutient la démarche auprès du roi signée par 73 militaires. En revanche, il désavoue les propos tenus sur les réseaux sociaux. Quant à Margarita Robles, ministre socialiste de la Défense, elle déclare avoir honte de ce genre d’écrits impliquant Felipe VI. Des poursuites pénales sont possibles à l’encontre des auteurs et le ministère envisage une expulsion des militaires… de l’Ordre de San Hermenegildo, dont fait partie tout soldat espagnol totalisant vingt ans de bons et loyaux services ! Le lecteur d’Enbata croit lire une plaisanterie de Tartaro. Mais non, c’est du sérieux.

Le premier ministre Pedro Sanchez fait mine de ne pas attribuer trop d’importance à ce remue-ménage. C’est pour lui l’expression de la crispation politique suscitée par le PP et Vox qui tentent de délégitimer le pouvoir et en sont réduits à un statut d’opposants dont ils ne savent comment sortir. Seul compte pour le gouvernement socialiste le vote de son budget. Le 3 décembre, 189 députés émanant de 11 formations différentes l‘ont approuvé, soit 13 de plus que la majorité absolue et 22 de plus que pour l’investiture qui se joua à un cheveu. Plusieurs micro-formations ont apporté leur voix.

Cette affaire de militaires has been pourrait laisser sceptique, tant tout ce qui est exagéré est insignifiant. Dans le contexte espagnol, il n’en est rien. Les ombres de Franco et de Tejero sont toujours là. Le « Todos al suelo ! » du 23 février I981 au parlement, fait écho au « Muera la inteligencia ! » du général Millan Astray le 12 octobre 1936, face à Unamuno. La question nationale posée par les Catalans et les Basques réveille l’Espagne noire que l’on croyait moribonde. Elle relève la tête. C’est celle des bûchers de l’Inquisition, celle du « sommeil de la raison engendrant les monstres » pourfendue par Goya. On se croirait revenus 40 ans en arrière, au temps des catacombes. Cette Espagne avait-elle disparu dans les poubelles de l’histoire ? Finalement, elle est toujours là et elle intervient dans le débat public.

Gravure de Francisco Goya, « Le sommeil de la raison engendre des monstres », 1799.

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