On présente souvent l’opinion comme la phobique du risque, la passionnée sécuritaire. C’est oublier un peu vite que les premiers à avoir cessé de tolérer les incertitudes sont les élites du capital, lors de la première révolution industrielle (Fressoz et Pestre) : vers 1800, le but fondamental (de ces nouvelles élites à l’image du comte Chaptal sous le Consulat, à la fois savant, industriel et ministre de l’Intérieur), c’est de stabiliser l’environnement juridique du capital. « Du fait de l’ampleur des investissements demandés par la nouvelle industrie, les entrepreneurs exigent visibilité à long terme et garantie contre les aléas — en bref une minimisation de leurs risques (…). Le capital engagé dans la production industrielle doit être protégé des interférences de l’univers politique et du pouvoir judiciaire, il doit être isolé du monde social et des mouvements de l’espace public. L’univers économique est donné comme autonome et suivant ses propres logiques, optimales si on les laisse à elles-mêmes. En bref, on crée la fiction d’un monde économique fonctionnant selon des règles propres et qui n’ont à relever ni du contrôle de l’État ni du débat politique. »
Pour le dire autrement encore, l’univers capitalistique que l’on présente comme étant par excellence la discipline qui a le sens du risque, voire le goût, n’est en réalité que la discipline qui a été la mieux à même de se débarrasser de son risque sur le dos des autres, en leur donnant en plus le sentiment que c’était eux qui ne voulaient pas assumer les risques. Le capital a transféré sur autrui, avec l’assentiment de tous, les risques sur les autres parties prenantes. Preuve qu’entre la communauté-société et l’entreprise-société, quelques différences demeurent.
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