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Guerre en Ukraine et contre-espionnage : Remonter la piste des récentes fuites du Pentagone

lundi 24 avril 2023, par anonyme (Date de rédaction antérieure : 24 avril 2023).

https://www.agoravox.fr/actualites/…

Samedi 22 avril 2023

ERIC PINZELLI

1) Vue aérienne du Pentagone en 2010, Wikimedia Commons

Faisant suites aux fuites des Pentagon Papers de 1971 (1), les révélations de Snowden, et la publication de la correspondance électronique d’Hillary Clinton de 2010 à 2014 par Wikileaks, les nouvelles fuites du Pentagone n’ont pas fini de faire des vagues. Le contenu des fuites met à bas la version officielle avancée par l’OTAN et répétée verbatim par tous les médias occidentaux d’une armée ukrainienne sur le point de « triompher de l’ogre Russe ». Le 8 avril 2023, le Washington Post, citant un haut responsable ukrainien, écrivait que la révélation des vulnérabilités de l’armée ukrainienne a provoqué la colère des dirigeants de Kiev et "la panique" parmi les responsables du Pentagone (2). Quelques jours après l’arrestation d’un coupable désigné d’office, faisons le point sur les origines de l’affaire et les incohérences dans la version des faits livrée par la presse, les grands médias et les réseaux sociaux.

Ce qu’on sait de la piste à l’heure actuelle

Une partie de la piste est assez facile à remonter. Les documents en question sont datés du 27 février au 1er mars. Selon Aric Toler de l’officine résolument anti-russe Bellingcat (affiliée au MI6 et financée entre autres par l’Union européenne, George Soros et par des agences américaines), ces documents avaient d’abord été publiés sur le serveur Discord « Thug Shaker Central » qui a été depuis supprimé. Certains documents sont publiés à partir du 1er mars, sur le serveur « wow-mao » administré par un YouTuber philippin de 20 ans vivant au Royaume-Uni par l’utilisateur « Lucca » (3), (4). Toujours d’après Bellingcat, d’autres documents américains classés top-secrets auraient déjà circulé au sein du serveur Thug Shaker Central, et cela dès la mi-janvier, mais cela reste à prouver.

La toute première photographie de l’un de ces documents est publiée sur 4chan le 5 avril par un anonyme qui voulait par là-même "démontrer" que les Russes perdaient deux fois plus d’hommes que les Ukrainiens dans le conflit en cours (5). Le commentaire est triomphateur : "Au 1er mars, la Russie a perdu 35,500 à 43,500 hommes et l’Ukraine moins de la moitié. Plus nombreux que les Ukrainiens sur tous les fronts, la Russie ne peut obtenir que des gains marginaux." Deux autres images sont ensuite publiées dans le même fil de commentaires, par le même participant.

Quelques heures plus tard, des captures d’écran de ces documents apparaissent sur le compte Telegram « Donbass Devushka » de l’activiste pro-Russe Sarah Bils, ancien officier de l’US Navy (6), puis sur Twitter, et attirent l’attention de la justice américaine. Le New York Times, en coordination avec Bellingcat, est déjà sur la piste de l’auteur des fuites pour obtenir le scoop et révéler l’identité du responsable supposé au Département de la Justice, sans se soucier des questions éthiques qui découlent de cette pratique inédite. Une équipe du Washington Post faisait également partie de la traque en parallèle. Depuis quand des "journalistes" œuvrent-ils au profit des autorités de manière si flagrante ?

Le Washington Post avance que son équipe aurait pu consulter à peu près 300 documents classifiés qui feraient partie de cet ensemble, sans en apporter la preuve (7). Depuis quand les « journalistes » sont-ils autorisés à consulter des documents top-secrets ? Le 7 avril, tandis que le Département de la Justice ouvrait une enquête, le Washington Post, le New York Times et le Wall Street Journal reportent l’affaire dans leurs unes respectives (8), (9), (10). Pourquoi ces grands médias ont-ils choisi de couvrir l’affaire quotidiennement dès le 7 avril ? À titre de comparaison, les révélations explosives du célébrissime journaliste d’investigations Seymour Hersh sur la destruction des gazoducs Nord Stream par des agents américains et la marine norvégienne ont été presque quasiment ignorées par ces mêmes médias qui n’ont jamais tenté d’en savoir davantage sur cette affaire ! (11), (12), (13). Il s’agit pourtant du pire acte écoterroriste de l’histoire et toute l’Europe risque d’en payer le prix pour longtemps, mais ce silence est en soit particulièrement révélateur.

La nature des documents qui se sont retrouvés sur internet

Il s’agit d’un ensemble de photographies d’authentiques documents analytiques produits au sein du Pentagone à partir de sources collectées par divers services de renseignement américains, y compris la CIA et l’Agence Nationale Géospatiale de renseignement (NGA). Les documents, qui sont dors et déjà dans le domaine public, portent principalement sur les opérations en cours en Ukraine. Pourquoi cette sélection en particulier ?

Certains de ces documents sont classés "secrets" ou "top secrets" (C/S/TS). Une partie ne devaient pas être communiqués à des services étrangers, même alliés (NOFORN), tandis que d’autres pouvaient être transmis à l’OTAN et aux Groupe des Cinq (Five Eyes - FVEY). Certains des documents, provenant du JCS-J2, en coordination avec le DIA (leur mission est de centraliser le renseignement afin de le transmettre à l’état-major des armées et au ministre de la défense), devaient servir à informer le secrétaire d’état à la défense Lloyd Austin et le chef d’état-major des armées Mark Milley (deux postes éminemment politiques) au cours du briefing quotidien du renseignement.

La très grande majorité des données classées "secrètes" ou "top-secrètes" contenue dans ces documents pouvaient en réalité être collectées à partir d’informations "open-source" disponibles dans le domaine public. La quarantaine de documents photographiés que l’on peu encore consulter sur internet dans les archives d’un site chinois (14) et que Newsweek est allé récupérer pour republier en partie (15) ne présentent pas, comme on aurait pu s’y attendre, de contenu ultra-sensible qui serait de nature à changer la donne dans la guerre en cours en Ukraine. On ne trouve pas, par exemple, de plans d’une possible "contre-attaque de printemps" ukrainienne annoncée par les autorités américaines et les médias occidentaux depuis des semaines.

Cela pourrait sembler étonnant à première vue, mais il faut savoir qu’en moyenne 85% des données que l’on retrouve dans les documents classés « secrets » ou « top secrets » (C/S/TS) proviennent en fait de « renseignements d’origine sources ouvertes » (OSIINT), des informations en réalité disponibles au public. Ce qui veut bien dire que les données des documents classifiés ne sont pas forcément plus fiables que celles que l’on peut lire sur Wikipedia par exemple, mais sont plutôt de nature à embarrasser l’administration américaine si elles étaient révélées à la population. Il est important de bien garder cela à l’esprit. Les documents classés « SCI » sont, par contre, de nature à contenir des données beaucoup plus sensibles et ne devraient être accessibles aux équipes de la Communauté du renseignement américaine qu’au sein des installations hyper-sécurisées que sont les SCIF. Ce qui est sans doute le plus dommageable en réalité, c’est que les fiches de briefing du JCS-J2/DIA révèlent une foule d’informations concernant les méthodes d’acquisition des données de renseignement, y compris l’importance de l’imagerie satellite traitée par la NGA et par le Centre de Renseignement des Missiles et de l’Espace (MSIC).

Ceci dit, il ne faut pas être sorti de Westpoint ou de Saint-Cyr pour se rendre compte qu’une partie des données sont visiblement absolument fantaisistes, comme l’affirmation que 97% de l’armée Russe serait déployée dans la guerre en Ukraine, un chiffre déjà cité par Ben Wallace à la mi-février (16), ou encore le nombre de pertes miliaires (189,500 à 223,000 Russes tués ou blessés contre 124,500 à 131,000 Ukrainiens). On apprend également que les deux tiers des tanks russes seraient hors de combat ! Le fait que les forces russes ont la maîtrise des airs et possède une écrasante supériorité en artillerie et munitions n’est pas un détail important pour les analystes du Pentagone. Et pourtant, personne n’ignore que ce sont principalement les milices du Donbass et le groupe Wagner qui sont à l’œuvre sur le terrain depuis février 2022, pas les forces régulières de l’armée russe. Le fait que les 300,000 réservistes russes rappelés l’année dernière ont peu été impliqués dans les combats jusqu’à maintenant, tandis que l’Ukraine est forcée d’envoyer au front tous les hommes âgés de 18 à 60 ans, mobilisation après mobilisation (17), indique pourtant clairement que les pertes ukrainiennes doivent être bien plus élevées que celles annoncées dans les médias occidentaux. Gardons à l’esprit que les chiffres officiels sont basés sur les informations invérifiables d’un gouvernement ukrainien aux abois. Pour les gouvernants et médias occidentaux, tout ce qui annoncé par Kiev reste encore parole d’Évangile… jusqu’à quand ?

2) Evgeniy Prigozhin, patron du groupe Wagner, entouré par plusieurs de ses « musiciens » devant le T-34 du monument « Aux libérateurs d’Artyomovsk » (le nom de Bakhmut durant la période soviétique), Bakhmut le matin du 8 mars 2023

En outre, le nombre extrêmement réduit de personnel militaire américain présent officiellement sur le sol Ukrainien, qui serait de 100 personnes attachées au service de l’ambassade et seulement 14 membres des forces spéciales sur le terrain, est également peu crédible quand on sait l’importance de l’action américaine pour appuyer l’effort de guerre ukrainien (18). D’autres fiches dressent un tableau alarmant de l’état des défenses anti-aériennes ukrainiennes qui seraient bientôt à cours de munitions. Même en possession de toutes ces données, il reste difficile d’estimer la situation réelle sur le terrain. Ce sont pourtant ces mêmes données qui, mises en forme par le JCS-J2-DIA, sont ensuite présentées aux plus hauts responsables de la défense américaine et du Département d’Etat et qui sont utilisées pour déterminer la stratégie à employer.

Comme les grands médias proches du pouvoir et de la Communauté du renseignement tels que le Washington Post, le New York Times et le Wall Street Journal se sont précipités pour couvrir l’affaire et vu que l’administration Biden n’a pas hésité à identifier immédiatement les premiers documents comme authentiques, tout qui viendrait à "fuiter" dans les semaines et mois à venir sera aussi validé par défaut. Cela ouvre la porte à une masse encore plus impressionnante de désinformation visant à manipuler aussi bien les alliés et les citoyens de l’Ouest que les adversaires déclarés (19). Comme on pouvait s’y attendre le Washington Post, le porte-parole presque officiel de la CIA, vient de publier un article affirmant que de nouvelles fuites provenant de la même origine démontrent la réalité du danger des "ballons espions" chinois (20). Car la Chine est de plus en plus dans le collimateur du Département d’Etat américain, alors même que les USA et l’Union européenne sont empêtrés dans un conflit ukrainien sans issue.

Parmi les données faisant partie des toutes dernières « fuites », il paraîtrait que Pékin aurait accepté d’apporter un soutien en armements à Moscou (21), ce qui ne serait guère étonnant vu les velléités non déguisées de Washington vis à vis de la Chine à propos de Taïwan. Ceci dit, qu’est-ce qui empêche les services de renseignement américains et alliés de fabriquer de futures "fuites" allant dans le sens voulu, sans que les médias ne remettent quoi que ce soit en question ? Après tout, ces mêmes médias ont bien relayé la version ubuesque de la destruction de Nord Stream que les services secrets américains ont concocté pour essayer d’étouffer les révélations de Seymour Hersh, sans émettre le moindre doute (22). C’est bien connu : toute information émanant du pouvoir en place (quand il est « libéral ») devient la version autorisée, rapidement officialisée par les médias mainstream accrédités, tout le reste n’est bien entendu que « complotisme ».

Qui est Jack Teixeira, la personne suspectée d’être à l’origine des fuites ?

Agé à peine de 21 ans, Jack Douglas Teixeira est un airman de 1re classe (E-3) attaché à la 102e Aile de la Garde Nationale Aérienne (USANG) basée à Cape Cod dans le Massachusets. Teixeira a rejoint la Garde Nationale en septembre 2019 (23). Un week-end par mois, parfois de nuit, Teixeira servait sur la base. Mais durant ses temps libres, Teixeira supervisait le serveur privé Discord privé appelé « Thug Shaker Central » mentionné par Bellingat. Discord est une application vocale, vidéo et de discussion lancée en 2015.Thug Shaker Central était composé d’une vingtaine de membres actifs, principalement des adolescents et des jeunes hommes passionnés de jeux vidéos.

Au sein de la Garde Nationale, malgré son rang inférieur, sa fonction était de "s’assurer que le vaste réseau mondial de communication du service fonctionne correctement." Le jeune homme faisait partie d’une équipe de techniciens chargés de gérer toutes sortes de matériels de réseau informatique et d’équipements de communication (24). La mission officielle de la 102e Aile de la Garde Nationale du Massachusetts est de « fournir des renseignements de précision, de commandement et de contrôle dans le monde entier ainsi que des aviateurs formés et expérimentés pour le soutien au combat expéditionnaire et la sécurité intérieure » (25).

Afin de mener ses tâches à bien, Teixeira, comme tout spécialiste du "cyber transport", avait obtenu dès l’âge de 19 ans une autorisation SSBI de l’Air Force (après enquête auprès de ses proches, ses anciens employeurs et vérification de son casier judiciaire), lui donnant accès aux documents classés "top secrets" et "informations compartimentées sensibles" (TS et SCI souvent rendus en "TS/SCI"). Pour autant, il faut bien comprendre qu’une autorisation SSBI n’accorde ni un accès par défaut, ni un accès illimité aux documents classifiés.

En théorie, les personnels munis d’une autorisation SSBI ont seulement un accès spécifique et limité aux données TS/SCI, toujours dans le cadre d’un rôle ou d’une fonction, pour une période de temps précise. Lorsqu’elle n’est plus requise, cette autorisation est automatiquement révoquée (26). Mark Montgomery, un contre-amiral à la retraite de l’US Navy, expliquait il y a quelques jours à Axios que "le personnel informatique et cybernétique a souvent accès à des éléments dans le cadre de son ’accès administratif’, mais l’hypothèse c’est qu’ils n’examinent pas le contenu" (27).

La grande question est de savoir comment et pourquoi un spécialiste du cyber transport de rang inférieur, ne servant qu’à temps partiel dans la Garde Nationale, aurait eu l’autorisation d’avoir accès aux fiches de présentation destinées aux plus hauts responsables du Ministère de la Défense ? Et si tel a été le cas, qui lui en a fourni les clés, les mots de passe, et dans quel but ? Dans quel scénario Teixeira avait-il un besoin impérieux (« need to know basis ») d’avoir accès à de tels documents et pouvait-il vraiment y avoir accès depuis sa base à Cape Cod ? Est-il possible qu’il ne s’agisse que d’une énorme faille de sécurité et d’incompétence absolue de la part des responsables de la sécurité des systèmes ?

La Communauté du renseignement des Etats-Unis

Au sein de la Communauté du renseignement américaine, les seuls services qui auraient pu avoir ces briefings entre les mains sont le JCS-J2 et le DIA qui les ont produits au Pentagone, sans oublier les employés du Bureau du Directeur du Renseignement National (ODNI, dirigé depuis janvier 2021 par Avril Haines, une créature de Barack Obama) situé à une quinzaine de kilomètres du Pentagone.

Depuis 2004 ODNI a pris le contrôle du briefing quotidien sur le renseignement donné au Président des Etats-Unis et du Conseil National du Renseignement (NIC). C’est ODNI qui sélectionne et approuve les données qui remontent de tous les services de renseignement avant de livrer des données filtrées et formalisées en accord avec la ligne politique de la Maison Blanche. C’est la même Avril Haines qui déclarait il y a quelques jours à peine que la présence de laboratoires de recherches américains menant des programmes biologiques sur le territoire ukrainien n’était qu’un « mensonge » russe, car, comme chacun le sait, seul le gouvernement russe est capable de mentir (28). De bas en haut de l’échelle de la Communauté du renseignement des Etats-Unis, chacun sait que les analyses doivent être consistantes avec la ligne officielle pour espérer obtenir de l’avancement : on reporte donc ce que son supérieur veut bien entendre ; ce décalage toujours plus important avec la réalité est l’un des risques d’une administration hyper-politisée qui n’autorise plus d’opinion non conforme.

Sur les traces numériques de l’administrateur de « Thug Shaker Central »

Qu’un simple appelé du week-end de la Garde Nationale ait pu obtenir ces fiches de briefing destinées aux deux plus hauts responsables du Ministère de la Défense, imprimer à plusieurs reprises, pendant des mois, des dizaines de pages au sein de son service avant de les transporter chez sa mère, pliées dans sa poche ou son sac, pour en faire des photos avant de les télécharger et les partager à ses compagnons de jeux vidéos dépasse l’entendement. Soit le réseau classifié interne du Ministère de la Défense américain est bien moins sûr que de nombreux réseaux civils, les supérieurs et collègues du jeune technicien particulièrement distraits, les personnels civils du SCIF en question et les agents de sécurité ne faisaient pas leur travail durant tout ce temps, ou alors ces documents ont été remis à Teixeira par quelqu’un d’autre.

On aura du mal à convaincre que les « fuites » ne proviennent pas d’une personne détenant une position plus élevée dans la Communauté du renseignement. Le jeune homme qui a été arrêté le 13 avril s’était habitué à publier des documents top-secrets, sans se faire prendre. L’agent spécial du FBI Patrick Lueckenhoff, spécialisé dans le contre-espionnage, est chargé de l’affaire des fuites du Pentagone. D’après sa plainte pénale datée du 14 avril, déposée auprès de la Cours du Massachusetts, il aurait commencé ses investigations peu de temps auparavant. En interviewant un des membres de la communauté Thug Shaker Central le 10 avril, Lueckenhoff aurait appris que des documents classifiés avaient été circulé dès le mois de décembre 2022 (29).

La source de la fuite s’est peut-être servie des services partenaires britanniques pour lancer la chasse. Leur filiale/officine Bellingcat pourrait avoir été utilisée pour faire éclater l’affaire avec l’appui sur le terrain d’une équipe composée de reporters du New York Times en lien avec Bellingcat et d’anciens barbouzes habitués aux opérations spéciales. En effet, d’après leurs dires, du 7 au 13 avril, les agents de la firme Bellingcat et une équipe du New York Times dont Thomas Gibbons-Neff un ancien Marine qui a servi en Afghanistan, C. J. Chivers, un ancien officier des Rangers ayant servi en Irak, et Christiaan Triebert, un ancien membre de Bellingcat, remontent la piste de concert.

Ils arrivent à rencontrer un membre de Thug Shaker Central qui identifie le leader et administrateur de cette communauté utilisant le nom « OG » (« Original Guide » et non pas « Original Gangster » comme certains médias l’ont écrit erronément) et qui leur livre beaucoup d’éléments qui vont être déterminants. L’identité d’OG est rapidement confirmée en étudiant le profil du compte Steam de Teixeira, puis en croisant les données avec les photos publiées dans le profil Instagram de sa sœur (30). Le jeudi 13 avril, Triebert et trois autres reporters se précipitent ensemble au domicile de la mère de Teixeira et de son beau-père (31), (32), (33).

3) Jack Teixeira appréhendé au domicile de sa mère par le FBI jeudi 13 avril à Dighton, Massachusetts (AP)

L’arrestation de Teixeira par le FBI

« Une fois que nous avons identifié Teixeira, notre équipe espérait pouvoir lui parler. @heytherehaley, @Tmgneff, @cjchivers ont conduit jusqu’à la maison de sa mère, mais il n’était pas là. Elle a dit qu’il était à la base de Cape Cod, puis qu’il dormait peut-être chez son père parce qu’il faisait partie de l’équipe de nuit. Lorsque notre équipe lui a demandé si Teixeira était là et disposé à parler, son beau-père a ajouté : « Il doit prendre un avocat si les choses se passent comme elles se passent en ce moment. Les fédéraux seront bientôt là, j’en suis sûr. » Environ 30 minutes plus tard, un avion de surveillance à deux hélices non visible sur les services de suivi des vols a commencé à orbiter autour de la propriété de la mère. Plusieurs véhicules ont été vus flânant à l’extérieur, roulant lentement d’avant en arrière. De toute évidence, l’arrestation était imminente lorsque nous avons annoncé l’histoire. »-Christiaan Triebert sur Tweeter, le 16 avril (34).

Peu de temps après la visite de l’équipe du New York Times, l’arrestation de Teixeira par le FBI chez sa mère est filmée par un drone. Les images qui sont aussitôt transmises à la presse font le tour du monde (35). L’honneur du Pentagone est sauf, justice est faite ! Dès le lendemain, Teixeira est accusé de « rétention et de transmission d’informations sur la défense nationale et de rétention délibérée de documents classifiés. » Il encourt une peine de quinze ans de prison (36).

Pourtant, tout porte à croire que Teixeira n’est pas le seul impliqué dans cette affaire de fuites. Les enquêteurs devront remonter la piste plus haut… sans doute l’ont-ils déjà fait. Reste à savoir si le public en saura un jour davantage ou si Teixeira sera le seul à porter le chapeau au bout du compte. Selon le Département de la justice américain, le jeune garde nationale n’avait partagé les documents top-secrets que pour impressionner les quelques membres de son serveur privé Discord (37).

Conclusion : les points essentiels à retenir

  • Teixeira, le jeune garde national de 21 ans accusé d’être l’auteur des fuites, avait bien l’autorisation d’avoir accès à des documents top-secrets, mais on ne voit pas comment il aurait pu avoir accès à ceux qui ont fini sur internet et qui étaient réservés aux plus hauts responsables du Ministère de la défense. S’agit-il seulement d’une phénoménale démonstration d’incompétence de la part des services de renseignement américains ?
  • La guerre par procuration des États-Unis contre la Russie en Ukraine semble bien mal engagée pour la junte de Kiev. Avec la publication des diapositives sur l’Ukraine, l’administration américaine actuelle, qui ne sait plus comment poursuivre ou arrêter la guerre en Ukraine, devrait admettre que le conflit est perdu et que l’Ukraine doit retourner à la table des négociations.
  • Les médias autorisés, petits télégraphistes du pouvoir, se sont concentrés sur l’auteur présumé des faits, beaucoup moins sur les révélations susceptibles d’embarrasser l’administration Biden.
  • Une tendance troublante vient de voir le jour : des reporters du New York Times (dont d’anciens militaires) en étroite collaboration avec Bellingcat, une filiale du MI6, se sont empressés de se porter volontaires pour livrer un suspect au Ministère de la Justice dans une enquête sur la source des fuites (même s’il s’en défendent), sans se soucier des ramifications éthiques crées par ce précédent (38). C’est d’autant plus choquant que la devise personnelle de C. J. Chivers, qui faisait partie de l’équipe du NYT qui a suivi la piste de Teixeira jusqu’au domicile de sa mère est, ironiquement, « car notre lutte n’est pas contre la chair et le sang mais contre les gouvernants » ! Le seul fait que Bellingcat soit un acteur central dans le dénouement apparent de cette affaire devrait d’emblée nous inviter à prendre beaucoup de recul par rapport à la version officielle vite ficelée qui nous est présentée sur un plateau.
  • Une autre retombée de l’affaire est la pression pour plus de surveillance, c’est-à-dire plus d’emplois pour la Communauté du renseignement ainsi que le Ministère de la Défense, fournissant des arguments supplémentaires aux nombreux partisans du RESTRICT Act au sein du Sénat des Etats-Unis, ce qui va entraîner de nouvelles atteintes aux libertés numériques avec les VPNs en ligne de mire après TikTok (39), (40). « L’incident est un bon rappel de la dangerosité des forums Internet et des groupes de discussion » affirmait ainsi le journaliste Indien Mukul Sharma le jour de l’arrestation de Teixeira (41).
  • C’était cousu de fil blanc et pour faire d’une pierre, deux coups, les grands médias de masse, tous « libéraux » bien entendu, dépeignent déjà Teixeira et son petit groupe sur Discord comme un ramassis d’extrémistes chrétiens « racistes et antisémites aimant Dieu et les armes à feu » (42), (43). Voilà de quoi alimenter encore un peu plus la paranoïa délirante de la ligne politique actuelle de la Maison Blanche pour qui le danger principal, menaçant la survie même des USA, serait l’existence de « suprémacistes blancs » sur son territoire. Tout va bien au bout du compte : le traître sans doute peut être relié au mouvement MAGA, sans oublier que la sinistre main de Moscou, omniprésente, y est aussi forcement pour quelque chose, comme l’affirmait le plus sérieusement du monde Reuters (44) aussitôt repris par le journal britannique The Independent (45). Quant il s’agit de russophobie primaire, l’establishment d’Albion n’est jamais en reste…

Au bout du compte, sachant que Washington et l’OTAN refusent l’idée même de négociations avec la Russie, la guerre par procuration en Ukraine entre les deux super-puissances nucléaires sera décidée par le sang et l’acier sur les champs de bataille d’Europe de l’est. Aucune quantité de propagande ou de désinformation ne pourra finalement changer la réalité sur le terrain. La prise du nœud gordien Soledar – Bahkmut ouvrira le reste du Donbass à la conquête. Après la capture définitive de Bahkmut par le groupe Wagner dans les jours à venir, Chasov Jar sera la prochaine étape en direction de Kramatorsk. Plus au sud, Avdiika, en partie déjà encerclée, ne va sans doute pas tarder à tomber également. Les médias occidentaux ne peuvent pas éternellement dissimuler la terrible réalité du carnage humain et de la perte de régions entières au profit de la Russie. La cruelle désillusion approche inéluctablement. A ce jour, les forces russes et alliées contrôlent 20% de territoires qui faisaient encore partie de l’Ukraine en 2014 (y compris la Crimée).

Pour autant, est-ce qu’une victoire décisive de l’OTAN est vraiment nécessaire à la bonne santé financière du complexe militaro-industriel américain ? Il y a tout juste un an, en avril 2022, Daniel Ellsberg qui est à l’origine de la publication des Pentagon Papers, déclarait sur Al-Jazeera qu’ « une guerre qui échoue est tout aussi rentable qu’une guerre victorieuse. C’est le vieux slogan latin, Cui Bono, à qui cela profite-t-il ? Après tout, nous ne sommes pas une nation européenne et nous n’avons pas de rôle particulier dans l’Union européenne, mais dans l’OTAN, c’est notre créature comme le dit la mafia Cosa Nostra, nous contrôlons l’OTAN et l’OTAN nous donne une excuse et une raison pour vendre d’énormes quantités d’armes aux anciennes nations du Pacte de Varsovie… La Russie est un ennemi indispensable » (46). Nul doute que nous touchons là au cœur du véritable problème.

Comme toujours, je vous invite à faire vos propres recherches et à tirer vos propres conclusions.

Sources

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  45. https://www.independent.co.uk/news/…
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